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19 septembre 2006

Benoît XVI et l’islam, 3 : foi et raison

Le Pape Benoît XVI

Comme je l’ai souligné dans le « post » publié dimanche dernier, le cœur de l’argumentation du Pape dans son discours de Ratisbonne tient dans la relation particulière entre foi et raison qui serait constitutive de la foi chrétienne, et absente (selon lui) dans la religion musulmane. Benoît XVI insiste lourdement sur l’héritage grec qui a irrigué la pensée chrétienne dès le début. Et il cite ... le « Septante », héritage de la « symbiose judéo-grecque » évoquée par Jacques Eladan dans son livre "Choc ou dialogue des cultures dans la littérature française et dans la conscience juive", (voir post du 6 septembre), qui fera l'objet d'une prochaine émission. Nouvel extrait de son discours :

"Aujourd'hui, nous savons que la traduction grecque de l'Ancien Testament réalisée à Alexandrie - le « Septante » - est plus qu'une simple (un mot qu'on pourrait presque comprendre de façon assez négative) traduction du texte hébreux : c'est en effet un témoignage textuel qui a une valeur en lui-même et une étape spécifique importante de l'histoire de la Révélation, à travers laquelle s'est réalisée cette rencontre d'une manière qui, pour la naissance du christianisme et sa diffusion, a eu une signification décisive. Fondamentalement, il s'agit d'une rencontre entre la foi et la raison, entre l'authentique philosophie des lumières et la religion. En partant véritablement de la nature intime de la foi chrétienne et, dans le même temps, de la nature de la pensée grecque qui ne faisait désormais plus qu'un avec la foi, Manuel II pouvait dire: Ne pas agir « avec le logos » est contraire à la nature de Dieu."

Ce dialogue entre foi et raison a-t-il toujours été absent dans la tradition musulmane ? Et qu’en est-il dans la tradition juive ? Là encore, je vous invite à découvrir l’excellent ouvrage de Jacques Eladan, cette fois dans le chapitre intitulé « La symbiose andalouse ». Il rappelle que le « géant » Maïmonide a réalisé dans le « Guide des égarés » cette synthèse entre explications rationnelles et foi hébraïque. Le « Rambam » tant vénéré, surtout dans la tradition séfarade, cita Pythagore, Platon, et Aristote dans son oeuvre. Mais aussi, il consacra 24 chapitres à la théorie des « Motécallamim », adeptes du « Calam », théologie rationnelle musulmane. Jacques Eladan rappelle aussi les trois courants philosophiques arabes des origines : l’aristotélisme (partisans d’Aristote) incarné par Al Farabi ; le néoplatonisme illustré par Ibn Sina (ou Avicenne) ; et l’anti-philosophie, incarnée par Al Ghazali, qui selon la tradition musulmane « clôtura » la porte de l’interprétation du Coran.


Comment fut donc étouffée la tendance rationnelle dans la nouvelle religion musulmane, les partisans d’Ibn Ghazali l’emportant sur ceux qui auraient pu tenter une synthèse entre rationalité hellénique et foi musulmane ? Ce fut une des premières questions que je posais à Abdelwahab Meddeb à propos de son ouvrage magistral, "L’islamisme, maladie de l’islam", la voici :
"Au commencement de l’Islam il y a le dogme de la révélation du Coran au prophète Mahomet par l’archange Gabriel, le fait donc qu’il ne soit pas « écrit » mais retransmis de façon directe à partir d’une source divine, la mère du livre « Um el Kitab ». Et vous rappelez l’opposition qu’il y a eu entre « la croyance en un Coran incréé au même titre que Dieu, descendu du ciel tel qu’en lui-même en son éternité » et la doctrine rationaliste des Motazilites, qui pensaient que la concrétisation des écritures en une langue terrestre ne pouvait pas être faite par un intermédiaire humain ; une doctrine qui séparait donc nettement la transcendance divine du commun des mortels, et exigeait des qualités de connaissance et d’intelligence, pour accéder au sens caché de la lettre du livre saint. Pourquoi les Motazilites ont-ils échoué, vers le dixième siècle au profit du dogme établi par le théologien Al Ghazali, dogme de la fermeture des « portes de l’interprétation », « bab el ijtihad » ?"

Pour entendre la réponse ... et le reste de notre passionnante conversation, je vous invite à entendre le podcast de cette émission, diffusée le 21 mars 2004.

J.C