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31 août 2017

Aly Elsamman, disparition d'un homme de bien



Je n'ai pas eu le bonheur de m'entretenir avec Aly Elsamman, disparu au début du mois d'août ; et, bien sûr, encore moins de faire avec lui une interview pour mon émission. Je l'avais seulement croisé lors de réunions de la Fraternité d'Abraham, qui naturellement a immédiatement réagi à sa disparition (lire ici).

Ancien conseiller à l'information internationale d'Anouar el-Sadate, Président de la République arabe d'Égypte, il eut le privilège de l'accompagner lors de son voyage historique à Jérusalem en novembre 1977, et d'encourager ce tournant décisif vers la paix entre les deux pays. Son rôle précieux fut rappelé lors d'une soirée de l'Alliance Israélite Universelle, rapportée sur le site Aly Elsammam.com : voir sur ce lien .

Président de l'Association internationale pour le dialogue interreligieux judéo-islamo-chrétien et l'éducation de la paix, Président du Comité pour le dialogue interreligieux au sein du Conseil supérieur islamique d'Égypte, il s'investit jusqu'à la fin de sa vie pour promouvoir une espérance, hélas bien nécessaire en ces temps troublés que nous vivons.
Sur la photo que j'ai choisi, tirée du site de la Fraternité d'Abraham, il était présent lors de notre dernier comité stratégique du 21 février ; à droite de la photo, Mgr Beau, évêque auxiliaire de Paris et directeur du Collège des Bernardins.

J.C

29 août 2017

Attentats de Barcelone, 2/2, le point de vue d'Alexandre Del Valle

Alexandre Del Valle

13 morts (1), 100 blessés au minimum, les attentats de Barcelone, commis un peu avant 18 heures hier avec une fourgonnette dans les  Ramblas, en plein cœur de la capitale catalane, ont une valeur symbolique pour la nébuleuse islamiste sunnite mondiale, car cette seconde attaque d’envergure en Espagne - après celle de mars 2004 à Madrid - frappe le pays que les islamistes radicaux de tous les bords n’ont jamais cessé de revendiquer comme « territoire perdu. (...)

Rappelons que l’Espagne est en situation d’alerte terroriste quasi maximale depuis 2015, bien que depuis les attentats de Madrid du 11 mars 2004, qui firent 192 morts et 2.000 blessés, aucune attaque jihadiste d’ampleur n’a été commise en Espagne. Notons tout de même qu’il s’agit en Europe depuis seulement un an du huitième attentat au camion ou à la fourgonnette.  

Si l’on compare les mobiles des attentats de 2004 à Madrid et celui d’hier, il est intéressant d’observer que les motivations réelles des attentats terroristes commis dans les deux villes espagnoles ont été « expliquées » et légitimées de façon limpide dans une vidéo très significative diffusée par l’Etat islamique en 2014, depuis la Syrie (« Cham ») : « au nom d’Allah le Miséricordieux, Grâce à Allah du monde entier, nous sommes dans la terre sainte de l’islam, et je vous dis à tout le monde et je vous avertis : nous vivons sous la bannière de l’Etat islamique et nous allons mourir pour elle jusqu’à ce que nous ayons récupéré toutes les terres musulmanes perdues, de Jakarta à l’Andalousie et je vous le dis, l’Espagne est la terre de nos ancêtres et nous la récupérerons avec l’aide de Dieu ».

Rappelons en passant qu’Al-Andalous n’est pas synonyme de la région actuelle d’Andalousie (sud de l’Espagne), mais qu’elle désigne plus largement, dans les représentations arabo-islamiques, toute l’Espagne jadis dominée par l’empire arabo-berbéro-islamique de 711 à 1492, dont notamment la Catalogne.
Cette idée de Reconquista à rebours était déjà très présente dans l’un des textes de revendication des attentats du 11 mars 2004 (gare d’Atocha de Madrid), lorsque, le 12 mars 2004, les Brigades Abou Hafs Al-Masri, affiliées à Al-Qaïda, se sont félicité du « succès » de « l’Opération Trains de la mort» en déclarant que « Les Brigades de la mort ont pénétré au cœur de la terre des croisés européens pour assener un coup douloureux à l’un des fondateurs de la coalition croisée. Il s’agit là de régler de vieux comptes avec l’Espagne croisée, alliée des Etats-Unis, en guerre contre l’islam», expression qui inclut à la fois la participation de l’Espagne du gouvernement de José Maria d’Aznar à la coalition américaine en Irak, mais aussi la Reconquista qui mit fin à la présence arabo-musulmane et au califat en Espagne en 1492. Déjà, en octobre 2003, Oussama Ben Laden, l’ex chef et cofondateur d’Al-Qaïda, avait clairement désigné l’Espagne comme cible dans un communiqué envoyé à Al-Jazeera, ce qui avait mis en alerte les services de renseignement espagnols du Centro Nacional de Inteligencia (CNI) qui inclurent alors pour la première fois la menace jihadiste dans leur Directive annuelle stratégique. Cette prise de conscience bien tardive était due au fait que l’Espagne avait surtout eu maille à partir auparavant avec le terrorisme basque de l’ETA, extrêmement meurtrier pendant des décennies, d’où la réaction initiale du premier ministre d’alors, Aznar, qui imputa à tort à l’ETA la responsabilité des attentats de Madrid. Le 15 mars 2004, quatre jours après le drame, la chaîne de télévision Al-Arabiya, retransmit une autre vidéo de Ben Laden qui justifiait l’attaque du 11 mars comme des « représailles pour venger les actions en Irak, Afghanistan et Palestine ».

Toutefois, chacun sait que les jihadistes-salafistes d’Al-Qaïda ont toujours été les ennemis jurés des Etats nationalistes arabes comme l’Irak baassiste de Saddam Hussein, alors attaqué en 2003 par les Etats-Unis et leurs alliés anglais, espagnols, etc, au profit de monarchies islamistes sunnites voisines. Cette revendication plus « anti-impérialiste » et visant à mobiliser les tiers-mondistes occidentaux, était essentiellement rhétorique, mais le vrai mobile théocratique-califal avait été clairement formulé puis théorisé dans les années 1980 déjà par le maître de Ben Laden, précurseur d’Al-Qaïda en Afghanistan, Abdallah Azzam, référence suprême de toute la mouvance salafiste-jihadiste-takfiriste, dans son ouvrage « La récupération des territoires islamiques perdus ». L’Espagne – Al-Andalous y figurait en première place avec la Palestine parmi les territoires islamiques à « reprendre ». Puis c’est un autre cerveau historique du jihadisme moderne salafiste, Ayman Al-Zawahiri, le successeur même de Ben Laden, qui déclara lancer une campagne mondiale jihadiste en vue de la « libération de Ceuta y Melilla », les enclaves espagnoles du Nord du Maroc dont est originaire l’un des terroristes de Barcelone, puis de la reprise de « tous les royaumes de l’islam, du Turkmenistan Oriental (Chine-Xinjang) jusqu’à Al-Andalous ».(...)

Alexandre Del Valle
Atlantico.fr, le 18 août 2017

(1) : on le sait, il s'agissait du bilan provisoire juste après l'attentat.

28 août 2017

Attentats de Barcelone, 1/2 Le terrorisme islamique en Espagne par Jacques Benillouche



Introduction :
L'actualité qui aura marqué cette fin de vacances est celle "des" attentats de Barcelone, d'abord celui dans la capitale de la Catalogne qui fit 14 tués dans l'après midi du 17 août, puis dans la nuit dans la cité balnéaire de Cambrils ; attentats au pluriel, aussi, car l'enquête devait rapidement révéler des projets encore plus meurtriers de la cellule démantelée.
Triste contexte, donc, pour cette rentrée sur mon blog. J'ai choisi de reprendre deux articles pour en parler. D'abord un article de mon ami Jacques Benillouche, centré sur la lutte des dernières années de l'Espagne contre le terrorisme djihadiste, lutte qui malgré ce sanglant raté a connu aussi des succès. Ensuite, un extrait d'un article d'Alexandre Del Valle, qui connait bien l'idéologie de ces mouvances terroristes et qui rappelle un fait, peu souligné sur les plateaux de télévision : le projet fou de reconquête de "El Andalous", terre d'islam perdue.
J.C
       
L’Espagne n’est pas néophyte en matière de terrorisme car elle a connu les attentats sanglants de l’ETA. Les terroristes étaient autrement plus difficiles à traquer car il s’agissait alors d’Espagnols qui pouvaient se fondre facilement dans la population contrairement aux islamistes. Ainsi, on se demande pourquoi Daesh a pris le risque de s’en prendre à un pays qui n’est pas faible, dont la structure étatique est solide et qui est bien équipé pour lutter contre le terrorisme.  

Le motif officiel avancé pour justifier l’attentat de Barcelone est un faux prétexte. Expliquer une action destructrice aveugle sur des civils, par réaction à la participation espagnole à la coalition internationale anti Daesh en Syrie et en Irak, est un argument qui ne tient pas. En effet, l’Espagne ne joue pas un grand rôle dans cette coalition, juste une présence symbolique. Elle se borne à fournir une assistance technique pour former des militaires en Irak, sans participer aux frappes. Dès octobre 2014, le pays avait envoyé 300 instructeurs militaires en Irak. Les forces armées espagnoles ont ainsi formé 46 bataillons et plus de 20.000 militaires irakiens pour combattre les djihadistes.
L'Espagne s'impliquait peu dans les opérations militaires. Cependant, le combat espagnol contre les djihadistes n’est pas récent et date de 2004. Seule une augmentation des moyens a été constatée depuis 2015. En fait, il faut chercher les raisons ailleurs.

La proximité avec le Maroc a permis à de nombreux réseaux djihadistes de se constituer mais la police ne cesse d’assener des coups en démantelant les filières marocaines en connivence avec les terroristes qui agissent en Belgique. L’Espagne est loin d’être un grand pourvoyeur de combattants djihadistes ; on évalue à 200 le nombre d’islamistes espagnols qui combattent en Syrie et en Irak, à comparer aux 3.000 Tunisiens. Il s’agit du 8ème contingent parmi les pays européens.  En revanche Barcelone est un foyer djihadiste que la police combat avec des résultats probants : plus de 30% d’arrestations dans cette ville ont été réalisées grâce à une collaboration discrète mais efficace entre services de sécurité espagnols et marocains.

Les motivations de Daesh sont ailleurs. L’État islamique a une stratégie qui consiste à faire parler de lui en toutes circonstances, à être toujours sur la brèche, à maintenir une mobilisation permanente de ses militants à l’aide d’opérations spectaculaires. Il se développe sur le terreau du chaos et de la peur qu’il instille dans les esprits. Mais il cible, chaque fois, le symbole de la richesse des pays occidentaux en attaquant les lieux de vacances et de fêtes ; Barcelone après Nice. Les attentats permettent à Daesh de redorer son blason et de détourner les regards sur ses échecs au Moyen-Orient ; écrasé à Mossoul en Irak, il s’est résolu à l’idée de perdre sa capitale Raqqa en Syrie. Ses troupes décomposées se dispersent alors en Europe où leur expérience des armes et des explosifs est recherchée par les cellules dormantes.

Les Espagnols n’ont pas été surpris par l’action contre Barcelone. Ils s’y attendaient depuis leur mobilisation contre le djihadisme, depuis quinze ans. Ils ont neutralisé sans publicité de nombreuses cellules islamiques avant qu’elles n’agissent. Ils savaient que Barcelone restait une cible emblématique en tant que deuxième ville touristique du pays avec près de dix millions de visiteurs. Ils n’ont pas pu éviter que Daesh choisisse le jour où la ville est la plus bondée pour frapper. Depuis le 11 mars 2004 et l’explosion de bombes d’Al-Qaeda dans des trains de banlieue de Madrid qui ont fait 191 morts, l’Espagne, qui pouvait se sentir épargnée par le nouveau terrorisme, ne se démobilisait pas.  Elle était même devenue leader mondial dans la prévention des attaques djihadistes car ses deux organismes de renseignements et de forces de sécurité de l’État avaient développé des méthodes d’avant-garde.

Les exemples de réussite sont nombreux. Le 25 avril, une opération anti-terroriste menée avec la police belge avait conduit à l'interpellation de 9 personnes dans la région de Barcelone. Le 29 décembre 2016, deux djihadistes avaient été arrêtés à Madrid et, après des perquisitions, la police espagnole avait découvert des vidéos d'hommes en armes devant une image de la Puerta Del Sol, lieu emblématique de la capitale espagnole. Depuis 2015, l'Espagne a arrêté 177 suspects en lien avec ses enquêtes sur le terrorisme islamiste. Enfin, l'Espagne a mis en œuvre des mesures juridiques ambitieuses pour stopper l'afflux d'argent aux terroristes. La réussite de la police est aussi due à la coopération de la communauté musulmane qui est la plus intégrée de l’Europe et qui agit contre la radicalisation de ses membres.
Bien que la Catalogne soit pointée du doigt comme terreau djihadiste, l'Espagne est pourtant le pays européen le plus actif en matière de coopération bilatérale contre le terrorisme. Elle a multiplié les actions et les rencontres avec les autres pays européens touchés par le terrorisme pour se concerter sur les nouvelles méthodes à envisager. Elle a été à l’origine d’une restructuration des institutions européennes de sécurité telles qu'Europol ou encore Eurojust. Le procureur français François Molins à Paris est en contact étroit avec son homologue espagnol. Les dernières arrestations en Espagne ou le démantèlement de cellules djihadistes en Catalogne ou dans le sud de Madrid ont été le résultat de la coopération des services de renseignement européen et du Maghreb.

Mais la solution pour neutraliser le terrorisme passe par la création d’un organisme européen commun, incluant Israël, disposant de moyens humains et financiers suffisants et qualifié pour intervenir dans tous les pays. Tout passe par des échanges d'informations et de fichiers et une entraide concrète multinationale pour démêler les ramifications complexes d'un réseau international. Israël dispose d'antennes de renseignement dans tout le Moyen-Orient. Cela permettrait que les combattants terroristes fassent l’objet de meilleures mesures de contrôle et de surveillance alors qu’ils circulent librement en Europe. Une coordination totale entre services de sécurité est indispensable pour plus d’efficacité mais surtout et aussi, ce qui est le plus difficile à obtenir, pour une uniformisation des procédures judiciaires entre des pays centralisés comme le France et des pays découpés en régions disposant d’une autonomie totale à l’instar de l’Allemagne.
           
La conclusion revient à l’ancien ambassadeur d'Israël Arie Avidor :

«Mais ce que je tente d'évoquer en si peu de mots, c'est l'impossibilité de recourir à des solutions miracles contre le terrorisme. L'Occident n'en a pas (pas même Israël), les régimes "musclés" (Russie, Turquie, Chine) non plus, les dictatures sanguinaires (Syrie, Libye, Yémen) encore moins. Nous devrons vivre avec ce phénomène menaçant et tenter d'y faire face en calculant à chaque fois, dans la mesure du possible, un coup à l'avance mais en sachant bien que pour une faille comblée dans notre dispositif, dix autres s'ouvriront à l'avenir. C'est la leçon que je retiens de décennies de ma modeste expérience, en uniforme ou en civil, dans la lutte contre le terrorisme. Les populistes et les démagogues, eux, vocifèrent et dansent sur les flaques de sang. Ils sont dans leur rôle».

Jacques Benillouche,
Temps et Contretemps, 19 août 2017

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