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16 juin 2016

Thibault de Montbrial : «L'Occident est attaqué par des gens mus par une idéologie de conquête»



FIGAROVOX/ANALYSE -Pour Thibault de Montbrial, il n'y a pas de doute, l'attaque du club gay d'Orlando est bien un acte de terrorisme islamiste. Il rappelle notamment que le 26 mai 2016, l'État islamique avait appelé ses sympathisants à se mobiliser.
Thibault de Montbrial est avocat au barreau de Paris et spécialiste des questions de terrorisme et président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure. Son premier livre, Le sursaut ou le chaos est paru en juin 2015 aux édition Plon. Il a préfacé le livre La France djihadiste d'Alexandre Mendel, paru en avril 2016 aux éditions Ring.

Un massacre à Orlando a fait 50 morts dans un club gay en Floride. L'assaillant venait de prêter allégeance à Daech qui a revendiqué l'attaque. Certains évoquent cependant la menace d'un loup solitaire et Barack Obama a dénoncé «un acte de terreur et de haine» sans prononcer le terme d' «islam radical». Doit-on parler de terrorisme islamiste?
Thibault Montbrial: Les éléments rendus publics par le FBI permettent d'identifier un mode opératoire qui correspond à la lettre aux incitations de passages à l'acte des multiples messages vidéo de l'État Islamique adressés aux populations musulmanes occidentales.
Théorisée par le porte parole de l'État Islamique Mohamed Al-Adnani dans son appel du 22 septembre 2014, il s'agit d'une incitation générale à tous les musulmans, où qu'ils soient, à tuer des occidentaux, par tous les moyens. Il faut donc dissocier ces actes d'initiative auxquels Daech incite les musulmans qui vivent en occident, des attaques commanditées et organisées par un réseau, comme l'opération du 13 novembre à Paris.
Depuis 2014, l'État Islamique a multiplié les incitations de cette sorte. En dernier lieu, une vidéo de ce même Al-Adnani a été diffusée le 26 mai 2016, appelant les sympathisants de l'État Islamique à se mobiliser pendant le mois du ramadan et à frapper les occidentaux partout où cela était possible et en particulier chez eux.
Le passage à l'acte de Omar Mateen à Orlando s'inscrit donc parfaitement dans une logique de réponse individuelle à cette incitation, matérialisée par l'allégeance à Daech qu'il a concrétisé par le coup de téléphone passé juste avant de perpétrer son massacre.
Quant au Président Barack Obama, j'ignore les informations exactes dont il disposait lorsqu'il a pris la parole hier en début d'après-midi heure américaine, mais son absence de référence à l'islamisme est pour le moins étrange au regard de l'ensemble des éléments divulgués concomitamment par les services de renseignements américains.

Cet attentat est-il comparable à celui du Bataclan?
Il existe des similitudes mais également des différences. La principale différence c'est qu'au regard des éléments connus ce matin, il semble s'agir d'une attaque d'initiative, comme précisé ci-dessus, et non une opération commanditée et planifiée comme le fut celle du 13 novembre.
Quant au mode opératoire lui-même, si beaucoup en France ont paru le découvrir le soir du 13 novembre, il ne faut pas oublier qu'il s'agit hélas d'un classique du terrorisme islamiste, puisque de nombreux massacres commis à l'arme de guerre ont été commis ces dernières années au Kenya par exemple, mais aussi dans de moindres proportions à Bruxelles (attaque du musée juif le 24 mai 2014) ou à Copenhague (14 février 2015). Une autre similitude avec la tragédie du 13 novembre 2015 concerne le type de cible, puisqu'il s'agit manifestement d'une atteinte au mode de vie occidental (boîte de nuit) en particulier portée contre la communauté homosexuelle, dont il faut rappeler qu'elle a subi des persécutions abominables dans les territoires tenus par l'État Islamique, où les gays étaient précipités du toit des immeubles comme en ont témoigné de nombreuses vidéos.
Il est indispensable de comprendre que l'Occident est avant tout attaqué par des gens qui, quelles que soient leur organisation, sont mus par une idéologie de conquête : celle de l'Islam radical sunnite.

Le terroriste est un citoyen américain né aux États-Unis. Après le massacre de San Bernardino, déjà commis par un couple d'américains, l'Amérique est-elle visée par des «ennemis intérieurs»?
L'Amérique a déjà subi plusieurs attaques menées par des Islamistes américains sur son propre sol. Le 5 novembre 2009 à Fort Hood (Texas), un médecin psychiatre, commandant de l'armée américaine, a ouvert le feu sur une base militaire, tuant 13 de ses camarades et en blessant 30 autres. Ce ressortissant américain était né en Palestine. Le 15 avril 2013, les frères Tsarnaiëv faisaient exploser deux bombes sur la ligne d'arrivée du Marathon de Boston (3 morts, 264 blessés). Nés en Tchétchénie, ils avaient émigré aux États-Unis en 2001.
Mais depuis un an, les attaques se multiplient. Le 3 mai 2015 à Garland (Texas), la première attaque revendiquée par l'État Islamique fut un échec, puisque la police tua les deux assaillants venus s'en prendre à un concours de caricatures de Mahomet. Le 2 décembre 2015 à San Bernardino (Californie) un couple (lui né au Pakistan et devenu américain, elle toujours de nationalité pakistanaise) a ouvert le feu dans un centre d'aide sociale puis dans la rue (14 mort, 26 blessés) ; sans revendiquer formellement cette action, Daech qualifia le couple de «partisans» de l'État Islamique.
Ainsi, si les ressortissants américains sont nettement moins nombreux que les européens à partir combattre pour le Djihad au Moyen-Orient, le nombre de ceux qui opèrent des attaques sur leur propre territoire est manifestement en train de croître.
Il faut d'ailleurs souligner les difficultés auxquelles se heurte le FBI à cet égard, puisque avant leur passage à l'acte, plusieurs des terroristes impliqués à Boston, Garland ou Orlando avaient déjà été auditionnés.

Peut-on craindre une augmentation de ces attaques?
Tous ceux qui travaillent sur ces questions rivalisent effectivement de pessimisme.
Au-delà de la considération liée aux difficultés actuelles de l'État Islamique sur le terrain, à la fois sur le front Syrio-Irakien et sur le sol Libyen, différends faits précis ont été mis en avant par les responsables du renseignement civil et militaire ces derniers mois pour craindre une recrudescence des attaques sur nos territoires.
Différentes personnalités aussi qualifiées que le Général Breedlove, Commandant suprême des forces alliées en Europe s'exprimant devant la Commission de Défense du Sénat Américain le 2 mars 2016, ou encore Patrick Calvar, Directeur Général de la Sécurité Intérieure s'exprimant devant la Commission de la défense Nationale et des Forces Armées de l'Assemblée Nationale le 10 mai 2016, ont évoqué l'existence de cellules islamistes infiltrées en Europe, déjà mentionnées dans une note d'Europol du mois de janvier 2016. L'estimation du nombre d'individus concernés atteint plusieurs dizaines.
C'est dans ce contexte très dégradé que le message d'incitation à frapper les occidentaux pendant le ramadan a été émis par Al-Adnani le 26 mai dernier.
Il faut également ajouter que, de son côté, l'organisation Al-Qaïda a émis des messages similaires ; il n'est donc pas interdit de craindre des attaques «concurrentes» de ces deux organisations terroristes sur les terres occidentales dans les semaines qui viennent.
Pour ce qui concerne plus spécifiquement la France, il va de soit que la concentration de l'attention mondiale autour de l'Euro de football avec 24 équipes européennes, c'est-à-dire 24 délégations sportives et les milliers de supporters qui les accompagnent, constitue une cible de tout premier choix, tout comme le Tour de France qui va suivre.
C'est pourquoi, au-delà des mots d'ordre de tel ou de tel groupe terroriste, il est indispensable de comprendre que l'Occident est avant tout attaqué par des gens qui, quelles que soient leur organisation, sont mus par une idéologie de conquête: celle de l'Islam radical sunnite. Et les actes de terreurs menés depuis plusieurs mois, en Europe ou aux États-Unis pour promouvoir cette idéologie sont le plus souvent opérés par des personnes qui possèdent la nationalité du pays qu'elles attaquent. C'est dire le défi auquel l'Europe et les États-Unis sont confrontés s'inscrit donc dans la durée.

Alexandre Devecchio
Le Figaro, 14 juin 2016