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28 avril 2016

Israël et l'impossible alliance avec l'Arabie saoudite

Le Roi Salmane d'Arabie Saoudite

 

Ni la peur de l'Iran, ni la menace terroriste, ou le sentiment d'être abandonné par l'Amérique ne suffisent à créer un terreau favorable à un rapprochement entre Riyad et Tel Aviv. La région tout entière aurait pourtant beaucoup à y gagner.


« L'ennemi de mon ennemi n'est pas forcément mon ami. » L'accord du 14 juillet 2015 visant à empêcher l'Iran de se doter de l'arme nucléaire a fait deux inquiets au Moyen-Orient : Israël et l'Arabie saoudite. D'un côté l'Arabie saoudite se livre avec l'ancienne Perse à des guerres par procuration au Yémen, en Syrie et très indirectement au Liban. Les forces de sécurité en Israël estiment d'ailleurs qu'il est nécessaire d'observer de très près les relations entre les deux grands rivaux. Car après la rupture de leurs relations diplomatiques, à la suite de l'exécution d'un dignitaire chiite par le régime saoudien et de l'attaque de l'ambassade saoudienne à Téhéran, un durcissement du conflit est à prévoir.

Comme Riyad, Israël voit aussi l'Iran comme son principal ennemi dans la région. Et tous deux redoutent que leur alliance avec les États-Unis, leur grand protecteur à des niveaux différents, se distende. Certes, la normalisation des relations entre les États-Unis et l'Iran trente-sept ans après la révolution iranienne n'est pas achevée, mais le dégel entre Téhéran et les pays occidentaux est lui bien amorcé. Un signe qui ne trompe pas : la tournée européenne du président Hassan Rohani a permis de multiplier les annonces de contrats au grand plaisir des Européens.
Avec la levée progressive des sanctions, Israël craint la capacité de l'Iran à développer un programme nucléaire, même limité désormais au civil. Ce qui amènerait Téhéran au « seuil » de la fabrication de bombes. A long terme tout est possible et l'accord a une durée d'une dizaine d'années. Le risque : un Iran nucléarisé réduirait à néant l'avantage d'Israël dans la région et pourrait pousser l'Arabie saoudite à se doter à son tour de l'arme nucléaire.

L'autre sujet d'inquiétude est le Hezbollah libanais. En se portant au secours de Bachar Al Assad, l'Iran a non seulement installé ses conseillers militaires des brigades Al Qods pour coordonner les combats au sol contre les rebelles, mais aussi livré des armes au Hezbollah, dont selon toute vraisemblance, des missiles à longue portée. « La troisième guerre du Liban n'est qu'une question de temps. Si le Hezbollah lance une attaque. Nous répondrons avec force », affirme le général israélien Nitzan Nuriel, aujourd'hui chercheur à l'Institut du contre-terrorisme à Tel Aviv. Le Hezbollah, ajoutait-il il y a quelques jours lors d'une rencontre organisée par Elnet (European Leadership Network), représente l'Iran et prône la destruction de l'Etat d'Israël. Pourtant depuis cinq ans, la frontière avec la Syrie et le Liban est, côté israélien, relativement calme. Devant quelques journalistes à Paris, le leader de l'opposition travailliste israélienne, Issac « Bouji » Herzog, affirmait que le Hezbollah est actuellement « enfoncé dans la boue de la politique libanaise et en Syrie ». Mais le mouvement détiendrait plus de 100.000 missiles pointés vers Israël.

Il y a aussi un autre terrain, très différent. En Israël, nombreux sont ceux qui pensent que la reprise de négociations israélo-palestiniennes « se fera dans un contexte régional », comme le soulignait récemment Daniel Shek, ancien ambassadeur d'Israël à Paris. Ce qui pourrait aller jusqu'à inclure l'Arabie saoudite. D'après Elliott Abrams, un expert d'un think tank américain, CFR, des contacts extrêmement discrets et à des niveaux très intellectuels lors de conférences internationales ont eu lieu entre experts saoudiens et israéliens. En 2002, l'Arabie saoudite avait également présenté un plan de paix avec Israël qui est de temps en temps ressorti des cartons, sans succès jusqu'à aujourd'hui. Un plan qui dans ses grandes lignes prévoit une reconnaissance de l'Etat d'Israël par les pays arabes, en échange d'un retrait d'Israël des territoires occupés. Pourtant la grande instabilité qui règne dans la région cinq ans après les printemps arabes devrait pousser à trouver des solutions. Car elle a créé un vide en Syrie, en Irak, en Libye où des organisations terroristes ont pris le contrôle de pans entiers de territoire. Une menace pour l'ensemble des régimes arabes en place. L'Arabie saoudite, suspectée d'avoir aidé ces organisations par l'intermédiaire d'organismes de charité, et qui est souvent considérée comme l'inspirateur idéologique de mouvements radicaux, a été la cible de plusieurs attentats revendiqués par Daech. Cette menace est certes indirecte en Israël : seule une cinquantaine d'Arabes israéliens ont rejoint les rangs de l'organisation terroriste, estime-t-on dans les milieux sécuritaires du pays. Mais on redoute l'influence via Internet des messages de radicalisation chez les Arabes israéliens qui représentent plus de 20 % de la population locale. Sans être directement liées au djihadisme sunnite, les attaques, depuis octobre, de Palestiniens dans les territoires occupés en Cisjordanie et en Israël se sont multipliées, créant un sentiment d'insécurité.

Et pourtant... Ni cette menace terroriste, ni la rivalité avec l'Iran, ou le sentiment d'être abandonné par l'Amérique ne suffisent à créer un terreau favorable à un rapprochement entre Riyad et Tel Aviv. Comme le confie un négociateur israélien désabusé après des années d'échec des négociations avec les Palestiniens, « l'approche régionale est surestimée car personne dans la région n'a intérêt à une amélioration de la situation ». Or il ne peut y avoir un rapprochement entre Israël et Arabie saoudite sans que la question palestinienne ne soit résolue. On en est loin. Cinq ans après les printemps arabes, le Moyen-Orient n'est pas sorti de son cercle vicieux, de haine et de méfiance.
Jacques Hubert-Rodier
Éditorialiste de politique internationale aux « Echos »
Les Echos,2 février 2016