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22 mars 2016

Une pause ... et ouf !



Il y a des fois où on a vraiment envie que le train - de la vie, des choses, du travail - s'arrête.

C'est le cas en cette fin du mois de mars, où cela va faire trois mois pleins que j'ai "alimenté" ce blog, et à un rythme que je n'espérais d'ailleurs pas tenir.
J'ai donc choisi volontairement cette illustration, qui fait plus penser à un signal d'alarme qu'au bouton "pause" de nos télécommandes !

Déjà programmé et prévu le 3 avril, un article vous annoncera la prochaine émission du 10 avril. Mais cela ne sera peut-être pas mon "vrai retour" ici, si j'arrive enfin à m'accorder de vraies vacances, et donc à ne republier qu'un peu plus tard.

Amitiés à toutes et tous, et à bientôt,

J.C

19 mars 2016

Islam de France, relations avec l'Etat laïc : Gérard Fellous sera mon invité le 27 mars

Gérard Fellous

Nous nous retrouverons dimanche prochain pour la deuxième partie de mon entretien avec Gérard Fellous. Nous parlerons du deuxième tome de son livre, "A la recherche d'un islam de France", sous-titré "Relations instables de l'Etat laïc avec les institutions musulmanes", c'est publié aux Editions L'Harmattan. Un rapide rappel pour le présenter. Il a été très longtemps journaliste dans différents médias, mais surtout pendant plus de vingt ans le Secrétaire général de la Commission nationale consultative des droits de l'homme ; à ce titre, il a suivi de très près les problèmes sociétaux posés à la République, et parmi eux, il y avait tout ce qui touche à la symbiose entre les religions et la société civile, avec les enjeux et menaces pour la laïcité. Il était tout à fait naturel que l'émergence de la religion musulmane, devenue en quelques décennies la deuxième de France,  et ses relations avec la République attirent toute son attention. Son livre le fait, longuement puisqu'il représente près de 450 pages pour les deux tomes réunis. Lors de notre précédent entretien, nous avons été à la rencontre de l'islam de France dans sa diversité et sa complexité. Et dimanche prochain, nous allons parler des rapports entre les institutions musulmanes et l'Etat, pour la période sur laquelle il a réuni une impressionnante documentation, et qui va en gros de la constitution du CFCM au début des années 2000 jusqu'en 2015, son livre étant sorti quelques semaines avant les attentats du 13 novembre.

Parmi les questions que je poserai à Gérard Fellous :

-        A propos de la création du CFCM, en 1997 Jean-Pierre Chevènement, Ministre de l'Intérieur et des Cultes lance une consultation, en arabe "Al Istichara". En 2000, 13 associations cultuelles sont consultées, l'Etat propose une sorte de contrat, et déjà dites-vous, il y a une forme de recul des Autorités, bien que les représentants de l'islam aient accepté l'article 1er de la Constitution sur le caractère laïc de l'Etat et la Loi de 1905 : pourriez-vous expliquer à nos auditeurs pourquoi ?
-        En 2002, la Droite revient aux affaires, et le nouveau Ministre de l'Intérieur chargé des cultes, Nicolas Sarkozy, veut que l'affaire soit conclue rapidement, en faisant le calcul de placer l'UOIF comme interlocuteur privilégié avec les deux autres grandes fédérations, la FNMF (sous obédience marocaine) et la Fédération de la Grande Mosquée de Paris. Le CFCM nait en avril 2003, Quatre missions lui sont attribuées selon ses statuts, défendre les intérêts du culte musulman, organiser les relations entre les différents lieux de culte, dialoguer avec les pouvoirs publics et dialoguer avec les autres religions. Mais aucun dossier de fond comme la formation des Imams, le financement des Mosquées ou la gestion de la viande Hallal n'a avancé. Quelles sont les raisons de cet échec ?
-        En ce qui concerne les propos et orientations de Nicolas Sarkozy, on redécouvre une inconstance totale entre 2002 et 2011, avec au début une sorte de soutien à une société multiculturelle, l'intronisation de l'UOIF comme interlocuteur respectable, et même l'appel au Cheikh d'Al Ahzar, pour émettre depuis l'Etranger une "fatwa". Et puis après, changement de cap complet, c'est le débat imposé sur "l'identité nationale" qui a braqué les Musulmans, et un discours assez agressif qu'il continue d'ailleurs maintenant, en semblant s'adresser aux mêmes électeurs que Marine Le Pen : que faut-il en penser ?
-        A propos de la formation des imams : c'est un dossier pour lequel l'inaction du CFCM a été total. Pour ce qui concerne les différentes grandes fédérations musulmanes, elles se contentent surtout d'importer des imams du Maroc, d'Algérie, ou de Turquie. Malheureusement, en France même la formation la plus importante est donnée à des centaines d'étudiants dans un Institut d'Etudes coraniques proche de l'UOIF, à Château Chinon. Les Autorités de l'Etat ont tapé du poing sur la table pour exiger des Imams la maîtrise de la langue française, et la connaissance du cadre de la Laïcité : mais on est très loin du compte, parce que d'une part, et malgré les déclarations de bonne intention du CFCM, celui-ci n'est élu que par 40 % des lieux de culte environ ; et d'autre part, parce que l'Etat - en raison de la Loi de 1905 - ne peut ni subventionner la formation des imams, ni a fortiori les rémunérer : quelles sont les pistes pour sortir de cette impasse ?
-        Comment a réagi le CFCM après la création par l'Etat de "l'instance nationale de dialogue" après les attentats de janvier 2015 ? Par rapport à une crispation naturelle de la société française suite à l'état de guerre où nous vivons, vous faites état de plusieurs sondages au chapitre 9 : quelles leçons en tirez-vous ?

Des sujets qui ont déchiré l'opinion, et que pourtant l'auteur a cherché à présenter avec calme et recul : soyez nombreux à l'écoute !

J.C

17 mars 2016

Juifs et musulmans français dans l’œil américain


L’historien Ethan Katz vient de publier aux Etats-Unis un livre sur les relations entre musulmans et juifs, de l’Afrique du Nord à la France. Un ouvrage qui permet de sortir de l’impasse une relation ancienne étouffée dans des débats identitaires et coloniaux.

Les historiens des Etats-Unis nous ont souvent été d’un grand secours pour penser certains traumatismes de la mémoire collective française. Comment aurions-nous abordé la période de la collaboration sans les travaux de Robert Paxton ? Celle de l’archaïsme des terroirs sans Eugen Weber ? Celle de la guerre d’Algérie sans Todd Shepard ? Un nouvel ouvrage signé par Ethan Katz et publié à nouveau outre-Atlantique vient bousculer certains préjugés tenaces et ouvrir nos horizons. L’auteur, maître-assistant d’histoire à l’université de Cincinnati, qui a déjà participé au beau travail collectif de Benjamin Stora et Abdelwahab Meddeb, Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours (1), s’insère dans cette lignée d’historiens qui se réfèrent à une mémoire collective commune sur la longue durée.

«Pourquoi les échanges entre juifs et musulmans d’Afrique du Nord sur le territoire de la France métropolitaine sont-ils automatiquement présentés comme liés à des réseaux de solidarité ou à des conflits ethnoreligieux de nature transnationale ?» lance l’auteur au début de The Burdens of Brotherhood, Jews and Moslems from North Africa to France (Harvard University Press, 480 pp., 2015) - «les devoirs d’une fraternité : juifs et musulmans entre l’Afrique du Nord et la France». Il y offre une tout autre représentation de ces interactions qu’il décrit comme une «tapisserie de possibles beaucoup plus riches et beaucoup plus complexes» qu’on ne l’imagine : elles sont marquées, affirme-t-il, par des phases d’une remarquable fluidité suivies par d’autres, déchirées par les brutalités et les divisions. Dans cette grande enquête qui porte sur près d’un siècle (de 1914 à nos jours), juifs et musulmans en terre française sont ainsi considérés tout à la fois comme «alliés et opposants politiques, compagnons de musique et de sport, voisins, amis et même amants»

Ainsi, ce livre subtil pulvérise deux représentations fréquemment partagées : celle qui dépeint juifs et musulmans comme ennemis inéluctables et celle qui réduit, mécaniquement, au simple conflit israélo-palestinien les causes de leurs tensions. Avec la description de microsociétés nord-africaines dans des villes telles que Paris, Sarcelles, Strasbourg et Marseille, l’historien insiste pour donner aux relations entre juifs et musulmans non pas la forme d’un duo, mais bien celle d’un trio, en les réinsérant dans une histoire triangulaire avec la France. Sans la prise en compte des positions déterminantes de la France comme «Etat-nation impérial» (2) insiste Katz, on passe à côté d’un élément fondamental. De fait, les relations entre juifs et musulmans ont, selon lui, «façonné la France moderne comme espace méditerranéen, avec ses paradoxes et ses possibles». Plus : elles en sont peu à peu devenues le véritable révélateur.

Avec sa tentative d’insérer une microsociologie interactionniste à la Erving Goffman au cœur d’un ouvrage historique à partir d’un considérable travail d’archives nourri de nombreuses cartes et photos, Katz parvient à dresser une fresque bariolée et foisonnante de ces deux communautés liées par une histoire commune de plus d’un millénaire. Parmi les moments les plus originaux du livre, on retiendra les gestes de solidarité entre soldats juifs et musulmans d’Algérie dans les régiments de zouaves ou de tirailleurs pendant la Première Guerre mondiale, ou bien la description des espaces de convivialité partagés dans les cafés du Bas Marais au cours des années 20 et 30, autour du groupe de musique arabo-andalouse El Moutribia avec Edmond Yafil (juif algérien) et Mahieddine Bachtarzi (musulman algérien).

Ces moments de fraternité restaient pourtant entachés «de considérables disparités» dues à la profonde asymétrie dans la relation que la France entretenait face aux deux groupes. En effet si, en 1870, le décret Crémieux avait conféré la citoyenneté française aux 37 000 «indigènes israélites d’Algérie», les 3 millions de musulmans y étaient régis par le code de l’indigénat (1881) qui instaura pour eux un statut juridique d’exception et autorisa la dépossession de leurs terres. Comment ne pas revenir sur cette asymétrie pour rendre compte, par exemple, des tristes émeutes de Constantine, au mois d’août 1934, lorsque la figure du juif fut stigmatisée à cause de son rôle d’intermédiaire, privilégié par le colonisateur ? Comment ne pas souligner que la France, troisième composante de cette relation triangulaire, joua un rôle majeur dans les tensions et les conflits entre juifs et musulmans d’Algérie, précisément à cause de sa politique coloniale qui imposa cette asymétrie ? Si, dans la France d’aujourd’hui, on peut se réjouir de la publication de la recherche d’Ethan Katz, c’est dans la perspective d’une histoire-monde qui a enfin supplanté les récits des Etats-nations estampillés par une marque nationale ou identitaire.

Mais on se réjouirait encore davantage si The Burdens of Brotherhood était bientôt traduit en français. Ce livre aurait sa place quelque part dans la nouvelle fresque dessinée par Patrick Boucheron lors de sa leçon inaugurale au Collège de France, en référence à la géographie arabe d’Al-Idrissi au XIIIe siècle, dans laquelle se «devine ce monde réticulaire des passeurs et des traducteurs, des communautés marchandes et des diasporas juives, ce monde de comptoirs, de transactions, de confiances au long cours» (3). Au moment où notre pays, ébranlé par les peurs, s’engage dans des mesures telles que la prolongation de l’état d’urgence ou la déchéance de nationalité, il n’est pas inutile de se pencher sur un travail qui rappelle la complexité et la richesse des relations entre juifs et musulmans en France métropolitaine, et qui met l’accent sur les dégâts peut-être irrémédiables que peuvent parfois produire certaines décisions politiques.

Tribune de Annie Cohen-Solal,
Libération, le 15 février 2016

(1) Albin Michel (2013), 1 152 pp., 69 €. (2) Selon la définition de Gary Wilder dans The French Imperial Nation-State : Negritude and Colonial Humanism between the Two World Wars, The University of Chicago Press Books, 352 pp., 2005. (3) Ce que peut l’histoire, 17 décembre 2015.

15 mars 2016

Daech : les doutes et les questions sur les 22.000 fiches



Des formulations douteuses et d'étranges logos figurant sur les documents attribués au groupe État islamique par Sky News font douter plusieurs experts.

«Daechleacks». C'est le nouveau nom donné à cette affaire: la publication, mercredi, de 22.000 fiches de djihadistes par la chaîne Sky News et dont l'authenticité n'a toujours pas été établie par les autorités britanniques et françaises. À l'origine de cette fuite: un homme se faisant appeler Abou Hamed. Ce repenti a raconté auprès de la chaîne britannique qu'il avait combattu pour l'Armée syrienne libre, puis rejoint les rangs de l'État islamique. Déçu par l'organisation terroriste, il aurait décidé de dérober des données, sauvegardées sur une clé USB, au chef de la police interne de l'organisation djihadiste avant de les transmettre à un journaliste en Turquie.

Des incohérences

À l'intérieur de ses formulaires: des informations sur des recrues d'une cinquantaine de nationalités. Dates et lieux de naissance, groupes sanguins, numéros de téléphone... Les données sont nombreuses et précises, mais plusieurs experts ont exprimé des doutes quant à l'authenticité de ces documents. Plusieurs éléments ont retenu l'attention des spécialistes:

1) Une mention étonnante. En haut à gauche des documents figure dans l'encadré l'appellation «direction générale des frontières». «Or, cette administration n'existe pas sous l'État islamique, qui ne reconnaît aucune frontière», fait remarquer l'islamologue et agrégé d'arabe Mathieu Guidère.

2) Une appellation surprenante. Sur le drapeau noir, en haut à droite du document, il est écrit «État de l'Islam en Irak et au Levant». Cette mention n'a jamais réellement été utilisée par Daech. D'avril 2013 à juin 2014, le groupe terroriste s'était baptisé «État islamique en Irak et au Levant» avant de raccourcir leur appellation et de s'autoproclamer «État islamique». «Mais ce qui est encore plus étonnant, c'est que sur le même document vous avez les deux appellations: État de l'Islam en Irak et au Levant et État islamique en Irak et au Levant», fait remarquer Romain Caillet, chercheur et consultant sur les questions islamistes.

3) Un étrange logo noir. En bas à droite de chaque formulaire apparaît également un logo noir en forme de cercle qui n'aurait jamais été utilisé par Daech. «C'est une sorte d'infographie tirée d'une vidéo de propagande vieille de plusieurs années», explique Wasim Nasr, journaliste et spécialiste à France 24.

 
Autre source d'interrogation: le volume réel de ces fiches. Selon trois médias allemands, qui ont eu accès à l'intégralité des 22.000 formulaires, il y aurait «de multiples doublons» et le nombre de personnes effectivement enregistrées serait «considérablement moins élevé». Sans doute «quelques milliers» de personnes, originaires des Etats-Unis, d'Indonésie, de Russie ou encore d'Afrique du Sud.

Le dossier Sinjar

Ces différents éléments poussent certains experts à s'interroger: «Peut-être que certaines des informations sont vraies et qu'une mise en page a été fabriquée pour vendre chèrement l'info à différents acteurs», estime le journaliste Wassim Nasr. «Moi-même, j'ai été confronté à ça. On va en Turquie, à la frontière syrienne, on nous propose toute sorte de documents estampillés avec un drapeau noir à tous les prix», a-t-il réagi sur LCI. De son côté, Mathieu Guidère pense que ces fichiers auraient été «transformés» pour apporter plus de crédibilité «aux fichiers originaux, qui n'étaient que de simples documents Word». «On voit bien que des éléments ont été rajoutés», insiste-t-il. «C'est vrai qu'il y a plusieurs bizarreries», constate également le chercheur Romain Caillet. «Mais il ne faut pas oublier que ces fiches datent de 2013, époque où l'EEIL commençait à s'établir. Il est possible qu'il y ait eu des erreurs qui se soient glissées».
Ces 22.000 formulaires ne sont pas sans rappeler «le fichier Sinjar» (Sinjar Records en anglais, ndlr) dont l'existence a été révélée par le New York Times en 2007. Cet ensemble de documents contenait une liste de plus de 700 combattants étrangers ayant rejoint al-Qaïda en Irak. Le quotidien américain avait expliqué à l'époque que les forces américaines l'avaient découvert près de la frontière syrienne, dans un camp près de Sinjar. «On retrouve la même présentation et les mêmes informations collectées», assure Mathieu Guidère qui avait travaillé sur ces documents à l'époque. La seule différence avec les documents de Sky News, «c'est qu'on ne retrouve pas la partie financière»: dans les documents d'al-Qaïda, figuraient à l'époque les sommes que les combattants étrangers avaient remis à l'organisation terroriste à leur arrivée. «Ces similitudes me laissent penser que les listes (qui viennent d'être diffusées) ont été établies par un ancien cadre d'al-Qaïda, ayant peut-être rejoint Daech», suppose Mathieu Guidère.

Un mélange de plusieurs listes de combattants

Cet ensemble de documents serait en réalité un agrégat de plusieurs listes, rassemblant des combattants étrangers venant de plusieurs groupes djihadistes (État islamique, Front al-Nosra, la branche syrienne d'al-Qaida, etc.) «Une première version de ce fichier circulait déjà depuis le mois de décembre dans les milieux des renseignements», assure l'expert Mathieu Guidère. Une thèse également soutenue par le journal Le Monde qui parle d'«un montage d'éléments provenant de plusieurs sources». «Nous pensons pour l'heure que cette construction était destinée à faire monter les enchères», indique une autorité française au quotidien du soir. «Une chose est sûre, ce n'est pas un document officiel de l'EI», ajoute-t-elle.
Du côté des autorités, seule l'Allemagne a affirmé que ces documents étaient «très probablement authentiques». «C'est une opportunité unique de prouver que des citoyens allemands ont participé à des activités terroristes», a réagi le ministre de l'intérieur Thomas de Maizière. Un porte-parole du gouvernement britannique a déclaré que Londres étudiait à présent «la façon dont nous pouvons utiliser ces informations pour lutter contre Daech», acronyme de l'EI en arabe. En Suède, les services de sécurité (Säpo) ont indiqué qu'ils connaissaient aussi l'existence de ces documents. En France, le ministère de l'Intérieur n'a toujours pas réagi vendredi en fin d'après-midi.

Caroline Piquet
Le Figaro, 11 mars 2011