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31 mars 2015

Syrie : ils en ont parlé à mon émission





Impossible de clôturer ce "mois de la Syrie" tellement riche sans revenir à mon émission, dont le blog est d'abord le support et le prolongement : ai-je suffisamment abordé ce pays fascinant, et sur lequel je réalise, avec un peu de retard, qu'il y a tellement de choses à apprendre ? Mes interviews ont-elles été à la mesure de l'horrible guerre civile qui, en quatre ans, a causé la mort de plus de 210.000 personnes ?

J'ai donc examiné la liste complète de mes émission que je tiens régulièrement à jour : 362 numéros de "Rencontre" depuis mai 1997 et ... seulement neuf où la Syrie figure dans le titre, c'est bien peu à première vue. Sur ces neuf émissions, cinq depuis que la révolution a commencé en 2011, on peut donc dire que je me suis sérieusement penché sur ce pays depuis que les choses ont enfin bougé là-bas, où un régime totalitaire - associé à une diplomatie congelée - donnait une impression d’Éternité, un peu comme les pays socialistes avant la chute du Mur de Berlin !
Ceci explique donc cela, et si j'ai peu évoqué la Syrie pendant longtemps, c'est que je pensais au fond que rien ne bougerait, à l'image du Plateau du Golan qui fut la frontière la plus calme d'Israël pendant 40 ans. Soyons un peu plus précis : il était très difficile, avant la révolution, d'obtenir que des Syriens, ressortissants d'un pays aussi hostile, viennent s'exprimer à mon micro, contrairement aux Égyptiens, Maghrébins ou même Libanais.

Qui donc en avait parlé pendant les première années de ma série ?

- Joseph Bagdadi, juif syrien réfugié en France, et par ailleurs ancien militant actif de la libération de cette communauté alors qu'elle était prisonnière dans son propre pays, était venu en octobre 1998, nous raconter, de façon bien émouvante, ses souvenirs de jeunesse à Damas.
- Elisabeth Schemla, alors rédactrice en chef du journal en ligne "Proche-Orient.info" - hélas vite disparu -, avait été mon invitée en juillet 2003 pour parler de "La Syrie à la croisée des chemins" : on essayait de réfléchir à l'évolution possible du régime, après l'échec des négociations de 2000 avec Israël et alors que le Liban commençait à remuer contre la tutelle de son puissant voisin.
- Connu grâce à cette invitée, Chawki Freiha, lui-même libanais, maronite et qui fut le collaborateur de ce journal, a évoqué régulièrement la Syrie lors de cinq émissions - 2006, 2007, 2008, 2009 et 2010 - où le sujet principal était son pays, le Liban (ces numéros de "Rencontre" ne sont pas comptabilisés dans mon total précédent). La politique intérieure libanaise et la nouvelle guerre avec Israël étaient au centre de nos discussions. Mais comment oublier alors le pays voisin, allié du Hezbollah et qui entreprit une campagne de terreur après avoir du mettre fin à son occupation ? Je me souviens du leitmotiv de Chawki Freiha à chaque fois que j'évoquais la possibilité "d'appâter" le régime de Damas, en lui promettant contre avantages, de casser son alliance avec la République Islamique d'Iran : "Bashar el Assad, il mange l'appât et il pisse sur l'hameçon". Tout était dit. Et en voyant comment le même axe chiite - Iran, Hezbollah - a été mis à contribution pour sauver le régime, on comprend pourquoi c'était pure chimère que d'imaginer un renversement d'alliances !
- Reçu une première fois sur mon plateau alors qu'il portait le pseudo de "Farej Namer", opposant en exil à Paris, j'ai fait entendre par cet invité et dès janvier 2004 la voix des Kurdes de Syrie qu'il représentait : le sort de cette minorité, alors durement opprimée, a ainsi été connue par mes auditeurs, alors qu'on n'en parlait pas du tout dans les médias nationaux.
- En novembre 2009, Christian Lochon est venu pour une émission dont le sujet était « Des Druzes aux Alouites, minoritaires dans un Proche-Orient en conflit » (voir dans le "mois de la Syrie" les articles des 12 et 13 mars).

La révolution syrienne a débuté dans les premiers mois de  2011.

- "Libye, Syrie, les limites de l'intervention occidentale", tel était le titre d'une émission diffusée dès le mois de juin, dont l'invité était Jean-François Daguzan, actuel directeur adjoint de la Fondation pour la Recherche Stratégique. Lorsque je me souviens de ses propos, je me dis qu'il avait vu juste en prédisant une extrême prudence occidentale, et la difficulté qu'il y aurait à renverser le régime.
- Revenant sur mon plateau en mars 2012, mais cette fois avec le patronyme de Ferec Nemir, mon invité kurde, actif dans les milieux soutenant la révolution, est venu parler au nom d'un "Comité de Coordination nationale pour le changement démocratique", composante marginale de l'opposition. Je me souviens dans ses propos d'une certaine prudence, à la fois par rapport aux Islamistes qui étaient en train de prendre le dessus dans l'opposition, et par rapport au régime qu'il ne désespérait pas de le voir imploser de l'intérieur : hélas, il n'en a rien été et Bashar el-Assad est toujours à la barre !
- Autre figure de l'opposition, celle-là chrétienne de Syrie mais d'abord militante laïque, Randa Kassis a été reçue quelques mois après, en octobre 2012. Deux choses me reviennent à l'esprit après cette entretien avec une "passionaria" aussi belle qu'intelligente : d'abord, sa lucidité face au régime soit disant "laïc" et qui avait su intelligemment utiliser l'Islam pour canaliser les réfractaires ; et ensuite, une vraie crainte face au chaos qui s'installait de plus en vite. Quelques deux ans plus tard, elle a écrit un livre intitulé justement "Le chaos syrien", co-écrit avec Alexandre Delvalle où elle s'inquiète, en priorité, des minorités chrétiennes du Moyen-Orient qui subissent des massacres depuis l'apparition du Daesh (elle a été reçue le 4 janvier pour parler de cet ouvrage dans le cadre de l'émission "Trente minutes pour convaincre" de Gérard Akoun et Vladimir Spiro).
- Historien, orientaliste et amoureux de la Syrie où il avait vécu, Jean-Pierre Filiu a écrit un beau livre de témoignage, "Je vous écris d'Alep", où il raconte ce qu'il a vu dans la ville martyre où il a passé quelques mois, entre ruines et tirs de snipers : nous en avons parlé en janvier 2014.
- Enfin, spécialiste de la Turquie, Dorothée Schmid que commencent à bien connaitre mes auditeurs, est venue sur mon plateau en janvier 2015, avec comme sujet : "Turquie, Syrie, Kurdes, la partie à trois" (voir aussi mon article du 2 mars).

Merci à tous les lecteurs qui ont été à quelques uns de ces rendez-vous radiophoniques, et en espérant faire encore de belles émissions sur la Syrie !

Jean Corcos.

30 mars 2015

Qui se souvient de Michel Aflak ?

Michel Aflak, fin des années 1930
 
Faites le test autour de vous : qui peut dire quelles ont été la vie et l'action de cet homme politique syrien ? Pas grand monde. Il est vrai que sa vie (1910-1989) appartient au siècle passé. Mais surtout, on l'a oublié parce que l'idéologie dont il a été un des promoteurs, le "panarabisme socialiste", était déjà morte avant que lui même ne disparaisse. Et plus encore aujourd'hui, alors que le parti Baas qu'il avait fondé, n'est plus qu'un instrument aux mains d'une famille de dictateurs en sursis, et dans une Syrie à moitié détruite !

Années de jeunesse

Né en 1910 dans une famille de la petite bourgeoisie grecque orthodoxe, Michel Aflak a baigné très tôt dans le nationalisme arabe, en révolte d'abord contre l'Empire ottoman, puis contre le mandat français. Grand amateur de livres, il s'est intéressé successivement à la "Nahda" (mouvement de "renaissance islamique" de la fin du 19ème siècle), puis à des ouvrages traitant de l'épopée des débuts de l'Islam ; de là date certainement une nostalgie de la grandeur arabe passée, qu'il va habiller de notions modernes après ses études à la Sorbonne à partir de 1928.
Michel Aflak ne se lance pas tout de suite dans la politique, n'étant à son retour à Damas qu'un simple enseignant, se faisant connaitre par ses poésies. Il fait la connaissance de Salah al-Din-al-Bitar, un musulman sunnite, qui va être son allié lorsqu'ils lanceront leur mouvement quelques années plus tard. Très gauchisant au départ, il s'éloignera de ses amis communistes, déçu de voir le Front Populaire maintenir les mandats et colonies. L'engagement nationaliste se fait alors plus pressant, Aflak et Bitar étant rejoints par Zaki al Arzouzi, un Alaouite qui avait déjà fondé un mouvement panarabiste.

Fondation du parti Baas

1941 voit - avec le soutien du Reich nazi en coulisses - un coup d'état à Bagdad (marqué, en particulier, par un terrible pogrom). Michel Aflak s'empresse de le soutenir comme beaucoup de Syriens, même si les Anglais matent vite la rébellion. Ces évènements accélèrent la cristallisation d'un parti cofondé par le Chrétien, le Sunnite et l'Alaouite, unis par une vision radicale du nationalisme arabe. En1943, ils fondent le "Hizb al B’ath al arabi" (Parti de la renaissance arabe). La devise du parti est "Umma arabia uahida thata risala halida" (une nation arabe avec une mission éternelle). Deux déclarations indiquent bien l'idéologie du Baas.
Celle-ci, en 1943 :
 "Nous représentons l'esprit arabe contre le matérialisme communiste. Nous représentons l'histoire arabe vivante, contre l'idéologie réactionnaire morte et le progrès artificiel. Nous représentons le nationalisme en son essence, qui exprime la personnalité contre le nationalisme en mots, qui nuit à la personnalité et contredit les comportements naturels (...)"
Et celle-ci, lors du congrès fondateur du parti en 1947, alors que la bataille a déjà commencé dans la Palestine mandataire voisine, et que Michel Aflak s'engage farouchement contre les Juifs en passe de fonder leur Etat :
 "Notre objectif est clair et il ne souffre aucune ambiguïté : une seule nation arabe, de l'Atlantique au Golfe. Les Arabes forment une seule nation ayant le droit imprescriptible de vivre dans un État libre. Les moyens de la résurrection sont les suivants : l'unité, la liberté, le socialisme."

Années 50, espoirs et déceptions

Les années suivantes sont difficiles pour Michel Aflak et son mouvement : emprisonnés, libérés, arrêtés de nouveau, ils sont mal vus par les militaires qui se succèdent au pouvoir. S'alliant avec le "Parti socialiste arabe" d'Akram Hourani, il entre au gouvernement en 1954, alors que l'idéologie du Baas commence à se répandre dans le monde arabe.
Mais entre temps, le colonel Nasser a pris le pouvoir en Egypte, porteur lui aussi d'une vision panarabiste. Croyant qu'un tournant historique est en marche, Aflak se rend lui-même au Caire, arrive à convaincre le leader égyptien d'une fusion entre les deux pays, et effectivement leurs deux Etats fusionnent le 1er février 1958 pour créer la "République arabe unie". Faisant preuve d'un réel manque de maturité politique, il va même dissoudre le Baas - englobé dans le parti unique nassérien -, ce qui lui vaudra la solide inimitié de deux militaires, Salah Jedid et ... Hafez el-Assad, qui tirera les marrons du feu bien plus tard !

Triste fin

La suite est bien triste pour Michel Aflak : disparition rapide de la République arabe unie ; prise de pouvoir par l'aile régionaliste et marxisante du Baas ; exils successifs au Liban, puis au Brésil, pour finir par atterrir ... à Bagdad, où une autre aile du Baas, mais rivale de celle de Damas, prend le pouvoir en 1968. Saddam Hussein le retient quasiment prisonnier dans le pays. Il lui attribue le poste de "Secrétaire Général du comité panarabe du Baas", poste symbolique et sans pouvoirs associés. En fait il devient une caution idéologique pour le régime irakien, face au Baas syrien officiellement aussi au pouvoir à Damas.
Triste fin, donc, alors que les deux branches du même parti, otages d'agendas politiques purement personnels et de nationalismes rivaux, se réclament toujours d'un mouvement qui devait abolir les frontières du monde arabe !
Michel Aflak meurt à Paris au l'hôpital du Val de Grâce, et est enterré à Bagdad ... en musulman, Saddam Hussein prétendant qu'il s'était converti. Son mausolée aurait été, selon des rumeurs infondées, détruit lors de l'invasion américaine de 2003



 Réunion de dignitaires du parti Baas en 1974
A l'extrême-gauche, Michel Aflak, puis Saddam Hussein en retrait

Que reste-t-il de l'idéologie du Baas ?

Pas grand chose, soit dit objectivement et sans jugement biaisé sur ses convictions : impossible, en effet, d'éprouver de l'empathie pour un nationalisme arabe exacerbé voué à la destruction d'Israël, à la destruction d'Etats faibles comme le Liban ou à la mise au pas des minorités diverses du Moyen-Orient.
Mais passons en revue ses convictions, et ce qu'il en est resté.
-        Théoricien d'un "socialisme arabe" rejetant à la fois le socialisme et le marxisme, son discours a servi de vitrine à des régimes, mettant en coupe réglée deux pays par des familles régnantes au pouvoir ;
-        Il pensait que ce "socialisme" règlerait les divisions communautaires chez les Kurdes et les Chrétiens, en fait les clivages n'ont fait que s'approfondir ;
-        Panarabiste convaincu, il aura vu de son vivant l'échec des tentatives d'unions entre pays, d'abord avec l'Egypte, puis par le bouillon Kadhafi dans les années 1970 ; et cela, sans parler de la millénaire rivalité Irak-Syrie ;
-        Convaincu que le nationalisme arabe devait prendre en compte l'Islam comme une composante essentielle de l'identité arabe, il a écrit en 1940 : "Arabisme et Islam ne sont pas antagonistes et ils ne peuvent pas l'être puisqu'ils sont tous deux de même nature". Et en 1943 : L'islam est la meilleure expression du désir d'éternité et d'universalité de la nation arabe. Il est arabe dans sa réalité et universel dans ses idéaux ». Or qu'est-il arrivé après l'effondrement de son idéologie - et des autres nationalismes arabes ? Le retour au grand galop de l'Islam comme acteur principal de la politique régionale. Avec, cruelle ironie, la naissance d'un Califat islamique massacrant les Chrétiens dans son propre pays !

Un dernier point au sujet de la fameuse "laïcité" mise en avant par les défenseurs français, d'extrême-droite comme d'extrême-gauche, du régime syrien : si le parti Baas réclamait que l'Etat soit indépendant de la religion, son idéologie condamnait fermement l'athéisme, celui des communistes en particulier. De fait, ironie du destin, le Baas au pouvoir a correspondu à Damas comme à Bagdad, en la confiscation du pouvoir au profit d'une communauté religieuse minoritaire, alaouite en Syrie, sunnite en Irak.

Jean Corcos


Nota :


Cet article a déjà été publié dans le cadre du blog que je tiens régulièrement sur l'excellent "Times of Israël". Pour le retrouver dans sa présentation originale,
 
Voir sur ce lien

29 mars 2015

Le Krak des Chevaliers, forteresse de toutes les guerres ...



Le Krak des Chevaliers est sans doutes le monument touristique le plus célèbre de Syrie. Célèbre, parce que sa silhouette imposante, caractéristique du Moyen-âge, figure en bonne place sur les guides de voyage : sur cette première photo, prise aux temps heureux de la Syrie d'avant la guerre civile, on reconnait ainsi des cars de touristes. Célèbre aussi, parce que c'est le plus beau vestige des Croisades, autres guerres qui ont marqué la mémoire des peuples arabes, dont les dictateurs ont usé et abusé du mot "Croisés" pour désigner les Occidentaux.


A nouveau un lien sur un article très complet qui vous dira tout sur la construction, son histoire et l'implantation de la forteresse. Début de l'article :
"Le Krak des Chevaliers, ou Krak de l'Hospital — le terme « krak » dérive du syriaque karak signifiant « forteresse » —, Qal`at al-Hosn (La forteresse imprenable) ou Hisn al-Akrād (forteresse des Kurdes) est un château-fort datant de l'époque des Croisades. Il est situé dans l'ouest de la Syrie, sur les derniers contreforts du Jabal Ansarya. Depuis 2006, il est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO."

Vous apprendrez donc qu'il y a eu des forteresses dans cette région montagneuse, depuis la plus haute antiquité. En 1031, les Abbassides alors au pouvoir construisirent une forteresse, mais après plusieurs batailles, les troupes franques de la première Croisade s'en emparèrent en 1110. Elle joua ensuite un rôle stratégique de première importance, servant à la fois de base avancée pour des offensives régionales, et de verrou stratégique contre les armées arabes menant la reconquête. Autre extrait :
"Le chroniqueur Ibn Al-Athir l'appelait « l'os en travers de la gorge des musulmans ». Cette importance stratégique est due à deux facteurs principaux : sa position géographique et son imprenabilité supposée et avérée, tant il est vrai qu'il ne fut jamais repris par la force après avoir été réduit par les croisés en 1109 puis rendu quasiment invulnérable par les travaux ultérieurs."

Cette deuxième photo prise depuis le haut des remparts illustre bien la position stratégique du château fort.


Le Roi Saint Louis lui-même se rendit en Syrie lors d'une Croisade, il y fit construire des fortifications supplémentaires, et dit-on lui et ses architectes ajoutèrent un cloître à l'édifice : voir cette photo de l'extérieur de la "Salle des Chevaliers" :


La forteresse finit par tomber en 1271, soit après plus d'un siècle et demi de résistance !

Plus près de nous, le Krak des Chevaliers a été le théâtre d'une autre guerre : il a servi de retranchement aux rebelles,  et il a subi des bombardements durant l'été 2012 puis en juillet 2013. Au final, et dans le cadre de son offensive victorieuse dans la région de Homs, l'armée régulière a repris le château fort en mars 2014.
Voir sur cette dernière photo les dégâts à l'intérieur de l'édifice :


J.C