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16 octobre 2013

Polémique entre un patriarche syrien et un évêque français à propos de la Syrie

Monseigneur Claude Dagens

Polémique entre un patriarche syrien et un évêque français à propos de la Syrie

Une violente polémique vient d'éclater publiquement entre le patriarche syrien catholique Grégoire III et l'évêque d'Angoulême, Claude Dagens, à propos de l'attitude à tenir vis-à-vis de Bachar el-Assad.

Un patriarche chrétien syrien contre un évêque catholique français. La polémique est rare, mais elle est vive et bien réelle. Elle vient d'éclater au grand jour alors qu'elle couvait depuis le 11 septembre dernier entre le patriarche Grégoire III Laham, grec melkite catholique (chef d'une des Églises catholiques orientales) dont le cœur est à Damas en Syrie, et Mgr Claude Dagens, évêque d'Angoulême et membre de l'Académie Française.
Dans une lettre adressée à Mgr Dagens que le Patriarche a rendue publique le 18 septembre, ce dernier accuse l'évêque français de «paroles diffamatoires» et «d'attaques» qui, selon lui, «choquent toute une Église en attaquant son Patriarche». Il entend répondre aux propos effectivement tenus publiquement par Mgr Dagens sur les ondes de Radio Notre-Dame, le mercredi 11 septembre. Ce dernier était l'invité de Louis Daufresne dans l'émission matinale «Le Grand Témoin».
L'interview portait sur la Syrie. Au fil d'une réponse, Mgr Dagens a lancé: «J'étais au Synode de Rome en octobre 2012 et j'ai vu tant de fois l'illustre Patriarche Laham, chef des Grecs-Melkites à Damas, se lever. Et lorsqu'il fut décidé qu'une délégation du Vatican allait se rendre à Damas pour rencontrer des chrétiens de Syrie et rencontrer Bachar el-Assad, le téléphone a fonctionné: le cher Patriarche Laham s'est entendu avec Bachar el-Assad dont on sait qu'il est un allié, politiquement et financièrement.»
De fait, le projet d'envoi d'une délégation en Syrie - pas moins de 7 cardinaux devaient officiellement prendre le chemin de Damas - annoncé le 16 octobre 2012 par le numéro 2 du Saint-Siège, le cardinal Bertone, avorta. Ce qui sonna comme une humiliation pour le Pape Benoît XVI qui cautionnait ce projet inédit. Et qui fit perdre la face à la diplomatie du Saint-Siège.

«Quel contraste avec la sollicitude du pape François!»

Dans cette lettre que le Patriarche adresse donc à Mgr Dagens - mais aussi aux autorités romaines, à la conférence des évêques et à l'Académie Française datée du 13 septembre et seulement rendue publique le 18 septembre par ses services - Grégoire III ne répond directement pas à l'accusation: «Vous m'avez gravement et publiquement mis en cause sur les ondes de Radio Notre-Dame. Vous n'imaginez sans doute pas combien vos paroles diffamatoires ont blessé - et mis en danger - la communauté melkite si cruellement éprouvée depuis tant d'années. Quel contraste avec la sollicitude du pape François et la solidarité spirituelle si touchante de mes frères dans l'épiscopat et de tant de Français anonyme! J'ajoute que beaucoup de chrétiens d'Orient sont des francophones fervents et ont été du coup particulièrement peinés par les attaques de l'Académicien que vous êtes. De légitimes différences d'appréciation géopolitiques ne me semblent pas justifier le fait de porter violemment atteinte à la fraternité épiscopale et de choquer toute une Église en attaquant son Patriarche. Sur la brèche et faisant front à toutes les difficultés et les tragédies de ces deux dernières années, je n'ai eu de cesse d'appeler au dialogue et surtout à la réconciliation, unique planche de salut pour la Syrie et pour laquelle je suis prêt à offrir ma vie en sacrifice.»
Cette lettre, publiée par le service de presse du Patriarche, est accompagnée d'une note relatant toutes les interventions du Patriarche depuis le début du conflit, qui ont toujours soutenu un «dialogue» pour préserver la paix civile.
Joint mercredi par Le Figaro, Mgr Dagens confirme son propos tout en publiant ce communiqué : «Je répondrai au Patriarche grec-melkite Grégoire Laham si celui-ci veut bien, avec les moyens dont il dispose, faire cesser le déferlement de messages haineux et violents que je reçois depuis une semaine, à la suite du dialogue que j'ai eu sur les ondes de Radio Notre-Dame et où j'ai eu l'occasion d'évoquer les réalités suivantes: les relations historiques entre la France et la Syrie ; la mainmise de la Syrie sur le Liban ; le caractère dictatorial du régime actuel de Syrie ; les violences terribles de la guerre civile qui fait des milliers de morts et de blessés, aussi bien du côté des musulmans que des chrétiens ; mon souci pour les populations chrétiennes si éprouvées et mon souhait qu'elles ne s'en remettent pas pour leur présent et leur avenir à des régimes dictatoriaux ; mon engagement aux côtés du pape François pour que la force de la paix du Christ, qui passe par sa Passion, soit plus forte que toutes les violences et les haines de notre histoire.»

Une des voix - souvent controversée mais respectée - de l'épiscopat français

Pour toucher le point le plus intéressant de cette polémique, il est nécessaire de saisir le contexte de cette «sortie» de l'évêque d'Angoulême. Cet intellectuel reconnu en France et à l'étranger, historien et ancien élève de Normale sup, est aussi connu pour sa forte réactivité sur les débats de société où il demeure l'une des voix - souvent controversée mais respectée - de l'épiscopat français.
Premier point de contexte: les propos de l'évêque français contre le Patriarche syrien formaient une incise dans une réponse où Mgr Dagens se livrait à «une analyse politique» de la situation syrienne. Après l'attaque de la ville chrétienne syrienne de Maaloula, l'évêque cherchait à démontrer qu'elle s'inscrivait probablement dans «la propagande» du régime de Damas. Un «régime criminel et sanglant dont on sait qu'il a occupé le Liban pendant plus d'une vingtaine d'années, avec le meurtre de Rafiq Hariri et le procès empêché des tueurs de Rafiq Hariri, inspirés par le régime de Damas». Une «manipulation» donc, visant à «instrumentaliser» en «essayant de faire croire que la guerre et les violences qui se déroulent en Syrie seraient d'ordre confessionnel». Mais «c'est faux!» a martelé l'évêque.
Ce régime «en permanence menteur», a poursuivi l'évêque français au micro de Radio Notre-Dame, veut donc passer pour «innocent» en laissant penser qu'il défend les chrétiens contre les islamistes. Au contraire, a-t-il précisé, «le grand argument politique de Bachar el-Assad c'est premièrement, “moi ou le cahos”, deuxièmement, “guerre à Israël”, troisièmement, “résistance à l'occident”».
Enfin, en réponse à l'objection du journaliste selon laquelle beaucoup - à commencer par des chrétiens du Moyen-Orient - estiment que le régime de Damas demeure un rempart contre l'islamisme, l'évêque a conclu: «Ne jouez pas cette dramatisation qui est un mensonge, qui sert la propagande de Bachar el-Assad. On le sait, les chrétiens sont persécutés au Moyen-Orient, pour des raisons multiples et nous sommes solidaires, nous savons ce qui s'est passé en Irak et on ne l'oublie. Mais n'allons pas jouer de cet argument pour défendre un dictateur qui se prépare à commettre le pire et qui l'a déjà commis. On peut plus dire “nous ne savions pas”. Nous savons, depuis des mois et des semaines! Nous savons qu'une guerre civile est en train, qu'un dictateur sanglant manipule cette guerre sanglante et qu'il manipule les opinions publiques à travers le monde».
Second et dernier élément de contexte: tout en ayant présidé, à l'appel du Pape François et comme bon nombre de ses confrères, une veillée de prière pour la paix en Syrie le 7 septembre dans son diocèse, Mgr Dagens a été l'un des rares dans l'Église catholique a avoir pris publiquement position pour un «avertissement» armé «proportionné» sous la forme d'un «coup de semonce» dans ce pays. Il s'en est expliqué par écrit le 6 septembre alors que le débat portait sur la conduite à tenir sur l'utilisation d'arme chimique.

«Je ne vais pas dans le sens d'une certaine opinion catholique, qui chante la ritournelle de la paix à tout prix»
Mgr Dagens
 
Ce fait est suffisamment rare et la polémique spectaculaire pour mériter une citation de ses propos: «Après quelques jours de réflexion, je penche pour une intervention armée, écrit Dagens. Je ne vais pas dans le sens d'une certaine opinion catholique, qui chante la ritournelle de la paix à tout prix, même si je suis pour la paix, et je présiderai, demain soir, samedi 7 septembre, la veillée de jeûne et de prière, pour la paix, selon le souhait du pape François. Je crois qu'il y a une réalité qui s'impose. D'un côté, une dictature: Bachar el-Assad que l'on n'aurait jamais dû inviter au défilé du 14 juillet sur les Champs-Élysées, il y a quelques années. Une dictature et de l'autre côté, des démocraties: la France, les États-Unis, les pays européens et d'autres pays, pas tellement au Moyen Orient.»
L'évêque d'Angoulême poursuivait: «Peut-on dialoguer avec Bachar el-Assad, qui sait d'avance tout ce qu'il doit faire? Je ne le sais pas. Je suis en train de lire une grande biographie allemande de Hitler, et je constate que les dictateurs sont des gens très intelligents, pas seulement des brutes, ils sont très cultivés. Bachar el-Assad est aussi très cultivé. Il a fait des études en Occident. Hitler était aussi très cultivé, très négociateur, très habile pour séduire et dominer. Avec qui dialoguer? Comment dialoguer? Je ne sais pas mais je pense que les démocraties françaises et américaines qui hésitent sont très honorables en hésitant. Nos présidents ne sont pas des chefs de clan, qui se moqueraient totalement de leurs adversaires et des risques qu'ils prennent en instrumentalisant la guerre civile dans leur propre camp. Tous les dictateurs instrumentalisent la violence et Bachar el-Assad aussi. Il me semble, après réflexion, qu'un coup de semonce, un avertissement armé, fort, limité, proportionné, est nécessaire. S'il est décidé par les États-Unis et la France, je le comprends, en espérant que cet avertissement armé pourra ouvrir la voie à des discussions politiques, même si le régime n'est pas renversé, mais là on entre dans l'hypocrisie politique. Voilà ce que je voulais dire au risque d'étonner un certain nombre de personnes.»

Jean-Marie Guénois,

Le Figaro, 19 septembre 2013