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12 juillet 2011

Pour la responsabilité civile


Depuis la révolution du 14 janvier, la Tunisie est à la croisée des chemins. Maintenant elle est sur le point de choisir la voie qui déterminera son futur. Aussi sommes-nous amenés à alerter l’opinion citoyenne sur les menaces qui risquent de ruiner cet avenir. C’est dans la vie de tous les jours que nous avons été confrontés à des atteintes à la liberté dans tous les domaines. Des fanatiques et des obscurantistes usurpant l’Islam ont visé la liberté de culte en manifestant contre la synagogue de Tunis. Ils ont bafoué la liberté d’être en prenant pour cible les signes de la sécularisation des mœurs  (tenue vestimentaire en ville et sur les plages, mixité dans les lieux publics, interdiction de visite pour des mosquées intégrées au circuit touristique, espaces de loisir qui vont jusqu’aux maisons familiales où la consommation des boissons alcoolisées est pratiquée). Ces militants de l’extrême s’en sont pris à la liberté de création en saccageant une salle de cinéma projetant le film d’une cinéaste qui a le droit d’être iconoclaste. Ils malmènent la liberté d’opinion en menaçant de mort ceux qui portent un regard désenchanté sur la tradition religieuse. Plus grave encore, ces mêmes séditieux nient la nation tunisienne en rejetant le drapeau qui la symbolise pour lui préférer l’étendard qui détourne la profession de foi à des fins idéologiques totalitaires. Bref nous recensons en cette liste de méfaits tous les indices tendant au rétablissement de la hisba, cette police des mœurs dont le retour constituerait une régression funeste pour une Tunisie qui, au-delà de sa modernisation, l’a ignorée depuis des siècles. Nous refusons cette violence qui entame l’intégrité du corps,  le libre  choix de l’individu et la liberté de conscience.  Si nous laissons faire, viendra le moment où sera contesté l’acquis historique des femmes et l’égalité citoyenne qui ne souffre aucune discrimination de genre, d’ethnie ou de croyance.
 
Face à cette situation dégradée et aux incertitudes qu’elle suscite, il est impératif de ne pas perdre de vue les principes de la vie démocratique. Nul doute qu’il revient à la Haute Instance de jouer le rôle d’éveilleur. Or les derniers documents qui en ont émané laissent entrevoir des ambiguïtés qui entravent la voie vers la démocratie. Nous savons que l’un des ressorts de la politique est la négociation qui concilie des points de vue divergents. Mais le compromis est irrecevable s’il aboutit à l’abdication des principes.
 
De telles ambiguïtés qui encouragent les dérives apparaissent dans le Pacte Républicain. Pourquoi ses rédacteurs ont-ils associé aux deux fléaux que sont le despotisme et la corruption, l’alignement sur l’Occident ? Par cette expression nous rendons explicite la notion de tabaiyya.
Telle explicitation montre à quel point cette notion engage un anti-occidentalisme stérile. Car tous les non-Occidentaux savent que leur désir démocratique est inspiré par les Lumières européennes qui n’appartiennent plus à l’Occident mais à l’humanité entière. Ceux qui ne le reconnaissent  pas s’égarent dans le labyrinthe des alibis identitaires. Aussi n’est-il pas étonnant que dans la foulée de cet anti-occidentalisme soit évoquée l’identité du peuple surajoutée à celle de l’État. Cette identité est présentée d’une manière exclusive, unidimensionnelle, enfermée dans une structure close se suffisant à elle-même. Elle abolit la diversité et amoindrit le rapport à l’autre. Les contours d’une telle identité ne peuvent qu’encourager la manipulation. Cette  mention n’a pas sa raison d’être car l’identité du peuple n’a pas à être l’objet d’un texte prescriptif. C’est pourquoi, nous n’en décelons la présence ni dans le Pacte de 1857, ni dans la Constitution de 1959. Sa mention dans le présent document est le signe d’un compromis idéologique qui dévoie le caractère principiel du texte.
 
Et le même fil idéologique est tiré lorsque les rédacteurs du Pacte  recommandent le refus de «la normalisation avec l’entité sioniste» (tatbî‘i). Cette évocation confirme le culte de la pureté identitaire qui mobilise en sa faveur un langage et un lexique inopérants, intempestifs et obsolètes. Cela remet dans notre mémoire le temps où l’idéologie nationaliste arabe a dominé la vision politique au prix des pires défaites. Voilà un des errements qu’apporte la substitution du conjoncturel au principiel. Pour avoir la portée d’un pacte, ce texte devrait se concentrer sur les seuls principes politiques et sociaux essentiels pour notre temps et pour les générations futures. Il n’a pas à s’attacher à l’accidentel s’il ambitionne la pérennité.
 
Ces éléments du Pacte procèdent de la maladie de l’identité et de ses chimères qui figent l’action et voilent le jugement. Elles occultent au nom de l’origine arabo-islamique la diversité de la mémoire nationale qui compte en son sein les apports de la berbérité, de Carthage, de la latinité, de la judéité, de la négritude. Sachez que sur notre territoire veillent ensemble les ombres tutélaires d’Augustin et d’Ibn Khaldûn. 
 
Dans un autre communiqué la Haute Instance renforce aussi les tabous autour de l’adhésion religieuse, elle leur donne un statut sacré, intouchable (muqadassât). De ce fait, elle limite la capacité d’intervention de la nécessaire pensée critique, gage et condition du processus de modernisation et de démocratisation.  
 
Nous savons que durant cette période transitoire nous vivons un moment de fragilité politique et institutionnelle. Néanmoins nous appelons les autorités de l’État à agir pour que notre lendemain ne soit pas compromis. Et nous appelons tous les démocrates à la vigilance citoyenne afin de raffermir la paix sociale.


Abdelwahab Meddeb, Ali Mezghani, Fadhel Jaziri, Hammadi Redissi, Faouzia Charfi, Khadija Cherif, Sophie Bessis, Tahar Bekri, Kalthoum Meziou, Feryel Lakhdar, Farés Ladjimi, Selma Hajri, Fatma Cherif, Kmar Ben Dana, Souhayr Belhassen, Hela Abdeljawad, Simone Othmani, Cherif Ferjani, Abdelhamid Larguèche, Dorra Mahfoudh, Hédia Jrad, Alya Chammeri