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28 février 2011

Les sept raisons de la colère du monde arabe


La Libye, le Yémen, Bahreïn sont en proie à des révoltes semblables à celles qui ont secoué la Tunisie et l’Égypte. Alors que la contagion se répand dans le monde arabo-musulman, « La Croix » du 22 février 2011 analyse les causes profondes de ces révolutions.

1. Des pouvoirs usés
Peut-on parler de« printemps arabe » ? « L’effet domino est une invention des médias », a déclaré le ministre algérien des affaires étrangères, Mourad Medelci, au quotidien espagnol El Pais. Une affirmation peu partagée… Bichara Khader, directeur du Centre d’études et de recherches sur le monde arabe contemporain (Cermac) de l’Université catholique de Louvain, estime, inversement, qu’aucun pays arabe n’est à l’abri, parce que l’on trouve dans la plupart d’entre eux les mêmes « ingrédients explosifs », notamment « un système politique sclérosé et répressif, une corruption généralisée et un ras-le-bol d’une situation bloquée à tous les niveaux », détaille-t-il dans son étude La Tunisie : est-ce l’hirondelle qui annonce le printemps arabe ?
Les intellectuels parlent de la « “tunisianisation” des Arabes », souligne-t-il. Pour autant, l’onde de choc, réelle, se traduira diversement. Il y a « un réel risque d’islamisation de la révolte » en Libye, à Bahreïn, au Yémen ou un risque de « régionalisation » de la révolte en Algérie ou au Yémen, estime-t-il. En Algérie, la situation est exceptionnellement complexe. « Le traumatisme de dix ans de guerre civile y est très fort », relève l’historien Mohammed Harbi, professeur émérite de l’université Paris VIII. « De plus, l’État a déployé des relais occultes dans toutes les instances de la société à un niveau qui n’existe nulle part ailleurs, poursuit l’historien. Or, ces relais qui peuvent être perçus comme opposition troublent considérablement le jeu et entravent l’émergence d’une dissidence organisée. »

2. Des héritiers détestés
Il semble que dans les pays monarchiques la royauté ne soit pas menacée. « Au Maroc, il y a une aspiration au changement, pour autant la monarchie jouit d’un vrai soutien », estime l’historien Mohammed Harbi. « À Bahreïn, la royauté n’est pas en tant que telle mise en cause, mais il est revendiqué une égalité de traitement pour la société à majorité chiite gouvernée par une dynastie sunnite minoritaire. Il n’y a pas non plus de volonté de renverser la monarchie en Jordanie », poursuit l’historien.
Inversement, la tentation dynastique des régimes autoritaires, au sein desquels le président monarque organise le passage du pouvoir à sa descendance, est la cible directe de la contestation qu’il s’agisse de Gamal Moubarak, considéré il y a peu encore comme le fils héritier de l’ex-président égyptien Hosni Moubarak, ou aujourd’hui de Seif Al Islam, fils du général Kadhafi, qui a promis une riposte sanglante à la révolte. Ces pratiques de confiscation du pouvoir par les descendants sont aujourd’hui « condamnées », estime Mohammed Harbi. 

3. Des populations jeunes et sans perspectives
En s’immolant par le feu, le jeune Tunisien a allumé sans le savoir la mèche de la contestation politique. Mohamed Bouazizi est vite devenu le symbole de cette jeunesse arabe sans perspective professionnelle, dans des pays où les moins de 25 ans représentent souvent plus de 40 % de la population.
« Du Maroc à l’Irak, toutes les nations arabes connaissent une croissance élevée des jeunes de 18 à 25 ans arrivant sur le marché du travail, bien qu’elle soit désormais en décélération, surtout au Maghreb, rappelle Youssef Courbage, chercheur à l’Institut national d’études démographiques (Ined). Or, les économies de ces pays sont incapables de créer des emplois adaptés à la demande. »
La natalité a fortement reculé dans le monde arabe, même s’il existe de grandes disparités entre la Tunisie, où le taux de fécondité est comparable à celui de la France, et le Yémen, où les familles de cinq enfants demeurent la norme. Certains pays ont achevé leur transition démographique et se rapprochent de l’Europe, tandis que d’autres sont en passe de la réaliser. « Le monde arabe connaît un processus entamé par l’Europe au XVIIe siècle, poursuit Youssef Courbage. Les garçons, puis les filles sont sortis de l’analphabétisme. Ils ont étudié et de plus en plus à l’université. On a assisté à la montée de l’esprit contestataire et à la sécularisation de la société, mais aussi à la remise en question de l’autorité parentale ; les autorités religieuses n’ont qu’un rôle marginal. »
Pour autant, les révolutions en cours ne sont pas à proprement parler des révolutions de jeunes : toutes les couches sociales défilent dans les rues. 

4. Des classes moyennes éduquées qui s’appauvrissent
Parmi les slogans entendus dans les rues arabes ces derniers mois figuraient de nombreuses récriminations contre la vie chère et les salaires très bas. « Le monde arabe a connu l’émergence d’une classe très éduquée, mais qui n’a pu prendre l’ascenseur social, du fait du manque d’emplois qualifiés », note Lahcen Achy, économiste marocain, chercheur au centre Carnegie pour le Moyen-Orient. En Égypte, près de 40 % de la population vit ainsi avec moins de 2 dollars par jour, soit au-dessous du seuil de pauvreté fixé par les Nations unies.
« Pire, la classe moyenne de ces pays qui avait émergé au lendemain de la décolonisation a vu son pouvoir d’achat s’effriter », poursuit le spécialiste. Par exemple, les enfants des fonctionnaires choyés par Nasser en Égypte dans les années 1960 n’ont pas trouvé de débouchés malgré leurs diplômes, descendant d’un cran dans l’échelon social. En Tunisie, le pouvoir d’achat des instituteurs et des avocats, touchés par la hausse des prix et notamment des matières premières, a baissé de 10 à 15 %. 

5. Des pays inégalitaires et corrompus
Les inégalités, la corruption, les sources d’enrichissement illégales expliquent en partie les mouvements de contestation observés dans plusieurs pays arabes. Ces États figurent parmi les plus inégalitaires en termes de ressources par habitant et les moins transparents sur l’indice annuel de la corruption établi chaque année par l’association Transparency International. « L’appareil administratif est corrompu, observe l’économiste Lahcen Achyn. Le citoyen ne peut pas déposer un recours devant la justice. Il ne peut se défendre, si bien qu’il voit dans le système une machine organisée pour l’appauvrir. »
La population observe en parallèle l’enrichissement d’une minorité proche du pouvoir, qui profite des vagues de privatisations ou des ventes des domaines de l’État pour accaparer des terres, des immeubles, des entreprises. « Si les différences salariales restent modérées, il y a de fortes inégalités en termes d’actif, poursuit Lahcen Achyn. Or, les politiques fiscales ne permettent pas une redistribution des richesses. » L’imposition reste faible, en effet, dans le monde arabe, par rapport à l’Europe. L’impôt sur le revenu est par exemple plafonné à 20 % en Égypte. 

6. Une absence de libertés fondamentales
Pour Kamel Jendoubi, président du Réseau euroméditerranéen des droits de l’homme (REMDH), « l’oppression et l’absence de libertés fondamentales, notamment d’expression », sont « la cause essentielle » et commune des révoltes qui secouent le monde arabe.
En Tunisie comme en Égypte et dans les autres pays traversés par des manifestations, c’est selon lui cette situation, commune à toutes les couches sociales, qui crée un mouvement unifié. « Des jeunes défavorisés, des individus issus des classes moyennes, des diplômés au chômage se rencontrent dans une même aspiration à la liberté et à la dignité », explique-t-il. « Tout le monde arabe est traversé par ce profond désir de droits de l’homme et de démocratie ; les gens sont prêts à mourir pour ça », indique-t-il, même si « cette base commune se traduit différemment dans chaque pays ».
Pour lui, les habitants du monde arabe, en « regardant le monde », ont pris conscience de « l’importance de la citoyenneté, de l’individu ». Ils ont « vu des éléments de modernité sous le contrôle de régimes rétrogrades, conservateurs ». D’où une frustration qui s’exprime dans la rue. « Les gens ont décidé de faire sauter les verrous pour ouvrir une nouvelle page, celle de la liberté. »
D’ailleurs, estime-t-il, « ce n’est peut-être pas un hasard si c’est en Tunisie qu’a commencée cette lame de fond ». Le régime de Ben Ali était « un modèle de répression et de contrôle de la population ». 

7. Des médias très actifs
Les médias, électroniques en particulier, sont une « caisse de résonance des frustrations », analyse Lucie Morillon, spécialiste des nouveaux médias à Reporters sans frontières (RSF). Tout en notant que « les peuples n’ont pas attendu Internet pour faire la révolution », elle estime que « la connexion entre les mouvements en ligne et hors ligne est déterminante ».
Une analyse partagée par Stéphane Koch, spécialiste des technologies de l’information, pour qui la Toile est un « catalyseur ». « C’est un moyen par lequel les gens partagent un sentiment », explique-t-il. Il souligne qu’Internet crée de « la confiance » grâce à sa « puissance fédératrice qui aide à se considérer comme partie d’un mouvement de masse ». Sur Internet, les gens sont devenus contributeurs. « Quand je soutiens une initiative sur un réseau social en cliquant sur “like”, c’est le début d’une action », dit-il.
Les deux experts soulignent néanmoins qu’une minorité de la population est active sur Internet. La vague de contestation se répand donc aussi par le bouche-à-oreille. En Égypte, les manifestants appelaient leurs amis à les rejoindre par SMS. Ils soulignent la force des images à la télévision – la chaîne Al-Jazira couvre les manifestations – ou sur Internet qui « renforcent la colère ». Enfin, les médias favorisent « la contamination » de la révolte dans le monde arabe. « Des populations qui se taisaient voient les gens se lever », explique Stéphane Koch, tandis que l’information « rend la répression difficile ».
Lucie Morillon souligne que les réseaux sociaux « dépassent les frontières : il existe une grande solidarité entre les internautes », dit-elle, indiquant que les Égyptiens ont aidé les Tunisiens à contourner la censure. 

Camille Le Tallec, Olivier Tallès, Marie Verdier
"La Croix", 22 février 2011

27 février 2011

Six ans, ou l'âge de raison



Et voilà, six ans déjà : le 27 février 2005 naissait ce blog, et le "bébé" est devenu maintenant un enfant qui aurait l'âge d'entrer en cours élémentaire !

On dit que six ans c'est l'âge de raison. L'âge où on commence à comprendre que tout n'est pas acquis automatiquement, où on "partage" avec d'autres enfants à l'école, avec ses frères et sœurs, avec ses premiers amis : soyons donc un peu plus "mûr" que je ne l'ai été lors des précédents anniversaires - que vous pourrez revivre en cliquant sur le libellé en lien.

La raison, c'est d'abord de rester lucide sur ses moyens et sur son impact : malgré toutes ces années et un rythme de publication toujours régulier et qui s'est emballé ces dernières semaines (une publication par jour en février, actualité oblige) ; malgré un "audimat" non négligeable puisqu'il oscille maintenant entre 150 et 200 "hits" par jour ; malgré une thématique originale dans la "blogosphère", puisqu'il est un des très rares à s'intéresser uniquement au monde musulman sans verser ni dans le panégyrique, ni dans l'hostilité primaire ; malgré une présentation complètement revue et riche de liens depuis le début de l'année ... malgré tout cela, donc, ce blog ne pourra jamais prétendre être un site d'information influent, faute de moyens d'abord, car son édition est prise sur mon temps de loisirs, et je ne suis pas encore à la retraite ! Mais surtout - et là je ne peux dissimuler mon amertume - le ton et la ligne choisies le mettent en porte à faux par rapport au discours qui écrase tout, dorénavant, dans la "blogosphère juive francophone", et dont les lecteurs constituent une bonne partie (mais peut-être pas la majorité) des miens. Il suffit, pour se convaincre que ce "discours dominant" existe bel et bien, de lire régulièrement les articles de l'écrasante majorité des blogs repris en lien par le site "juif.org" -  j'en profite, au passage, pour remercier son webmaster pour l'accueil fait au cette adresse, et qui permet aux lecteurs curieux d'entendre un son de cloche un peu différent.

Prenons des exemples récents : j'ai publié deux articles à partir d'informations de témoins oculaires, à propos des affaires lamentables de la profanation du mausolée de Rebbi Yossef el-Maarabi à El Hamma, et de la manifestation antisémite devant la Grande Synagogue de Tunis. Quasiment tous les articles publiés ailleurs cherchaient à véhiculer un discours précis -"les derniers Juifs de Tunisie sont en danger" -, discours venant se greffer, comme toujours, autour d'un axiome : "tous les Arabes sont nos ennemis". Et, en écrivant cela je reste "léger", tant maintenant le pire racisme s'étale sans vergogne dans les commentaires suivant certaines publications. Mais hélas et pour ne prendre qu'un exemple, le site populiste qui permet à ses lecteurs de s'exprimer ainsi attire plus de visiteurs que celui des grandes institutions juives comme le CRIF : c'est malheureux, mais surtout inquiétant pour ma communauté !

En fait - et les textes repris en boucle et bombardés par mails circulaires le confirment - je suis atterré de voir comment, par exemple, la vague révolutionnaire dans le monde arabe est accueillie avec peu de sympathie : qu'il y ait une inquiétude légitime sur la paix avec l’Égypte, cela se comprend ; que l'on craigne naturellement la prise de pouvoir par des islamistes radicaux, c'est normal ; mais que l'on pose comme postulat que ces peuples n'auraient le choix "ad vitam aeternam" qu'entre la dictature ou la Charia, c'est aussi raciste qu'imbécile : qu'en savons-nous ? Connaissons-nous la fin du film ? L'Histoire est en train de s'écrire sous nos yeux, à l'heure où je tape ces lignes on ne sait même pas comment finira Kadhafi : mais les "spécialistes" qui ont tant de succès, hélas, dans ma communauté comme chez la majorité des Israéliens francophones, commencent par avoir des "pré jugés" ; leur logiciel d'interprétation est toujours le même, on peut y entrer n'importe quelle information, il en ressortira en gros la même chose. Or, vous le savez, qu'il s'agisse de mon émission ou de ce blog, l'ambition est différente : vous faire connaitre des points de vue, des sensibilités, des expériences différentes. Hélas, en le faisant je reste fidèle à ce que l'on apprenait à mon époque dans les cours de philosophie : "Thèse, anti thèse, synthèse" : aujourd'hui, les vedettes qui passent à la télé commencent à dire "moi je pense que ..." et ce ne sont pas les seuls !

Sortir des sentiers battus communautaires, c'est vous faire connaitre des voix expertes : avez-vous remarqué que sur la fréquence juive on entend quasiment toujours les mêmes commentateurs parler du monde arabe, des commentateurs qui en vérité n'y ont jamais vécu ou qui même n'ont jamais visité les pays dont ils parlent ? J'ai eu le grand bonheur, ces dernières semaines, de lire ou d'entendre les interventions de Laurence Louër, Jean-Pierre Filiu, Pierre Vermeren, Christian Lochon ... autant d'invités que vous aurez découverts dans ma série, la seule consacrée au monde musulman sur la fréquence juive - et je compte vous faire bientôt découvrir des voix nouvelles sur le 94.8 FM. Sortir des sentiers battus, c'est aussi avoir aller chercher des articles intéressants, même dans des médias dont le positionnement par rapport à Israël ne nous plait pas toujours : la presse française publie, après un long silence méprisant, des analyses et des dossiers riches et objectifs sur les turpitudes des régimes arabes, la complicité de nos gouvernants et l'état réel des sociétés dans ces pays : je continuerai de reprendre sur ce blog une sélection de tels articles ; et ce n'est pas ici que l'on trouvera des "liens" ou reprises de sites d'extrême-droites, populistes et racistes !

Les enfants de six ans sont peut-être bavards ... alors pardonnez-moi, amis lecteurs, d'avoir été trop long : c'était le plaisir de partager avec vous ce gâteau virtuel : soufflons ensemble les bougies, et rendez-vous dans un an !

Jean Corcos

25 février 2011

Le Printemps arabe, par Gérard Akoun


Le Printemps arabe continue, mais les dictateurs ont tiré les leçons de ce qui s’est passé en Tunisie et en Égypte. Ils ne cherchent plus d’accommodements avec les manifestants, ils ne  cèdent pas à leurs revendications  pour plus de démocratie, au contraire ils les répriment très durement quand ils ne les massacrent pas, comme le fait  Kadhafi en Libye. Il nous faut saluer le courage de ces jeunes, fer de lance de ces révoltes, qui n’hésitent pas à donner leur vie  pour la liberté et la dignité. Il nous faut aussi remarquer que ces peuples savent parfaitement qui sont leurs oppresseurs, ils ne se trompent pas de cible, ils ne se sont pas attaqués  à l’impérialisme américain, ou au sionisme qui jusqu’il y a peu  servaient d’exutoire aux frustrations sociopolitiques  de la rue arabe.
Mais la bataille n’est pas encore  gagnée en Libye, au Yémen, à Bahreïn en Algérie, en Iran aussi, où faut il le rappeler, en 2009, les jeunes  sont descendus dans la rue et ont affronté, à mains nues, les séides de Ahmadinedjad  pour protester contre la  fraude électorale  qui lui  avait  permis d’être réélu président de la République Islamique. Elle n’est qu’à moitié gagnée en Tunisie et en Égypte, les populations se sont débarrassés des dictateurs qui les gouvernaient, mais il leur reste à mener à bien une période de transition qui devrait leur permettre de progresser vers plus de démocratie.
C’est une étape, moins héroïque, mais dont va dépendre l’évolution, à court terme, de ces pays. Quelle sera celle de l’Égypte qui occupe dans la région une place stratégique et qui est officiellement en paix avec Israël ? Trois forces sont  en présence dont l’une, l’armée est prépondérante, elle s’est engagée à respecter un calendrier, qui doit permettre l’écriture d’une nouvelle constitution et l’élection d’un  nouveau Président ; les deux autres sont, d’une part  les Frères Musulmans qui font profil bas mais qui disposent d’une solide implantation, et d’autre part la  mouvance démocrate, libérale qui représente cette jeunesse, nourrie de numérique, qui a mis le feu aux poudres, et qui, maintenant tente de s’organiser politiquement.
L’armée laissera t-elle se dérouler le processus démocratique jusqu’à son terme, ou gardera t-elle le pouvoir, en le dotant d’une parure démocratique ? Selon le rapport des forces politiques issu d’élections démocratiques, s’alliera t-elle aux islamistes ou aux démocrates ?
Des réponses à ces questions dépendra l’avenir des relations israélo égyptiennes.
Benyamin Netanyahou a déclaré qu’il souhaitait je cite "une floraison de la liberté et de la démocratie dans le monde arabe (...) plus les fondements de la démocratie  sont solides, plus les fondements de la paix le sont aussi." "Nous ne voulons pas voir, a t-il ajouté, de dictateurs qui foulent aux pieds les droits de l’homme, freinent les réformes démocratiques et constituent une menace pour la paix". Il faisait allusion à Ahmadinedjad, mais ce costume pourrait habiller nombre de chefs d’États du Proche et du Moyen Orient.
Il est évident  qu’il est dans l’intérêt d’Israël de bénéficier d’un environnement démocratique, il peut  participer à sa naissance, en  mettant un terme par la négociation, au conflit israélo-palestinien ; non pas, comme le dit Avigdor Lieberman, parce que, je cite "le conflit israélo-palestinien  serait la raison principale qui se trouve au cœur des conflits et des problèmes du Moyen Orient", mais tout simplement parce que ce conflit est utilisé pour pallier les échecs des gouvernants et détourner l’attention des populations sur un problème extérieur. Ou encore augmenter son influence  politique dans la région: la flottille pour Gaza  a permis à la Turquie de regagner, à peu de frais, une partie du prestige qu’elle avait perdu dans le monde arabe à la fin de la Première Guerre Mondiale.
Un compromis qui mettrait fin au conflit entre  Israéliens et  Palestiniens serait une défaite pour les islamistes et pour l’Iran, qui, à terme, faute d’ancrage en Méditerranée, ne viendrait plus y roder.

PS :
Stéphane Hessel aurait-il épuisé  ses capacités d’indignation ? Lui si prompt à fustiger Israël, ne dit mot à propos de la répression qu’ont subie et que subissent encore ceux et celles qui luttent au péril de leur vie pour la liberté et la dignité. Son indignation est à géométrie variable !!!

Gérard Akoun   
Judaïques FM, 24 février 2011

24 février 2011

La Tunisie épouse le nom de Mohamed Bouazizi

Hommage à Mohamed Bouazizi

La municipalité de Tunis a rebaptisé ce jeudi  17 février 2011 la place du 7 Novembre, la plus importante de la capitale tunisienne, pour lui donner le nom de Mohamed Bouazizi, dont l'immolation par le feu a déclenché la "révolution du jasmin" qui a renversé le 14 janvier le président  Ben Ali. Ce vendeur ambulant  est devenu célèbre après  la tentative de suicide par immolation le 17 décembre 2010, à l'origine des émeutes qui concourent au déclenchement de la révolution tunisienne évinçant le président Zine el-Abidine Ben Ali du pouvoir. Il est décédé quelques semaines plus tard, après une horrible agonie.

Le Centre de traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous où il est mort a été renommé « Hôpital Mohamed Bouazizi »

Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, a  indiqué aussi  ouloir donner à un lieu parisien le nom de Mohamed Bouazizi, « figure emblématique qui, par son acte de résistance, symbolise le combat des Tunisiens pour la démocratie, la justice et la liberté »

Le producteur tunisien Tarak Ben Ammar prépare actuellement un film sur le jeune Tunisien Mohamed Bouazizi. Le tournage de ce long métrage en langue arabe, dont le titre et la distribution ne sont pas encore connus, devrait débuter dès le mois de mai prochain dans différentes régions de Tunisie, principalement à Sidi Bouzid. C'est dans cette petite ville rocailleuse au milieu d'une région d'oliviers et d'amandiers au centre du pays que le  jeune vendeur de fruits et légumes, Mohammed Bouazizi, s'est immolé par le feu après une énième humiliation policière.

"Les recettes du film iront à sa famille et ses descendants à vie. Ce film est une manière de rendre son nom universel, d'en faire un symbole", explique encore M. Ben Ammar. Mohamed Bouazizi, poursuit-il, "est devenu sans le vouloir l'âme et l'ambassadeur de la Tunisie et de son peuple par un acte humain et pas politique".

"Je veux produire ce film afin que nos enfants n'oublient pas la révolution et son symbole qui n'est ni un homme d'affaires, ni un intellectuel, mais un simple citoyen", ajoute Tarek Ben Ammar. Le film sera "une adaptation libre" de la vie du jeune Tunisien "jusqu'à l'acte terrible de son immolation", a-t-il expliqué à l'A.F.P.

Ftouh Souhail
Tunis

23 février 2011

Les ingrédients de la crise à Bahreïn

Drapeau du Bahreïn

Dans ce pays chiite gouverné par une dynastie sunnite, l'instabilité inquiète les voisins et les États-Unis qui y ont basé la cinquième flotte.

Un pays à majorité chiite
Bahreïn est le seul pays du Golfe comprenant une majorité de chiites (70%), mais celle-ci est marginalisée par le pouvoir sunnite. Les chiites sont exclus des postes administratifs et des postes de sécurité.  
Pire, la monarchie recruterait, selon l'opposition, dans les forces de sécurité et les services de renseignements des sunnites de plusieurs pays arabes voisins. Les opposants chiites accusent d'ailleurs le régime d'accorder la nationalité à ces sunnites afin d'inverser la balance démographique du pays. La majorité chiite critique également les logements sociaux accordés à ces nouveaux venus rapporte Steven Sotloff dans le Christian Science Monitor
Le gouvernement tend à présenter les chiites comme une cinquième colonne iranienne, ce dont ces derniers se défendent. 

La dynastie Al-Khalifa
Depuis son indépendance en 1971, Bahreïn est dirigée par la dynastie Al-Khalifa, avec, à la tête de l'Etat, Hamad ben Issa Al Khalifa depuis 1999 et Halifa ben Salman Al-Khalifa à la tête du gouvernement... depuis 1971, tandis que les vice-premiers ministres sont Ali ben Khalifa ben Salman Al-Khalifa et Muhammad ben Moubarak Al-Khalifa! 

Une ouverture politique incomplète
Deux ans après la mort de son père Issa, le chef de l'Etat Hamad ben Issa Al Khalifa a engagé des réformes, en février 2001, ce qui lui a valu d'être cité en exemple par le parrain américain. Le nouveau roi a notamment restauré le Parlement, qui avait été suspendu en 1974, ce qui fait de lui (avec le Koweït) une exception parmi les monarchies ultraconservatrices du Golfe. 
Le nouveau roi a libéré les prisonniers politiques et encouragé le retour des dissidents. Un projet de Charte d'action nationale affirmait le caractère démocratique du système politique, la séparation des pouvoirs et la suprématie de la souveraineté populaire.  
Mais un an plus tard, en 2002, le régime fait marche arrière. Il crée une chambre haute désignée par le roi, à l'instar de la Cour constitutionnelle, de la Haute Cour de justice et de l'ensemble des juges. Ce qui amène l'opposition chiite et laïque à boycotter les élections législatives. D'autant que le découpage électoral est tel que sur 40, 18 circonscriptions seulement sont gagnables par les chiites, assurant au tiers des sunnites que compte le pays d'être majoritaires. 
En 2006 néanmoins, l'association chiite Al-Wifaq décide de se présenter aux élections, afin de prouver sa bonne volonté et son respect des règles "démocratiques". Une partie de ses membres fait d'ailleurs sécession et appelle à nouveau au boycott du scrutin. Wifaq remporte alors 17 sièges. Et aux dernières élections législatives, à l'automne 2010, les chiites ont remportés les 18 sièges auxquels ils concourraient. 

Atteintes aux droits de l'Homme
Les organisations de défense des droits de l'homme condamnent régulièrement les abus commis contre les opposants, en particulier l'usage de la torture. En août dernier, 250 à 300 militants d'Al-Wifaq ont été arrêtés selon Human Rights Watch. Et en septembre dernier, la disparition du blogueur Ali Abdulemam a mobilisé la communauté internationale qui réclame toujours sa libération. 
Un pays habitué aux secousses
Bahreïn a été confronté à une "intifada" (soulèvement) de 1995 à 1999. Violemment réprimée, elle n'a pris fin qu'à la mort de l'émir Issa en mars 1999. En 2004, l'île a été à nouveau secouée par des manifestations qui réclamaient la libération d'un défenseur des droits de l'Homme, Abdulhadi Al-Khawaja. 

Le siège de la Cinquième flotte américaine
Les Américains, qui ont choisi Manama comme port d'attache de leur Vème Flotte, considèrent cette île reliée par un pont au royaume saoudien comme un rempart contre l'influence et l'activisme de la République islamique d'Iran dans la région, et ont d'ailleurs étendu la surface de leur base en 2009.  
La Vème flotte des États-Unis couvre le Golfe persique, la Mer rouge, la côte de l'Afrique de l'Est et l'Océan Indien. Ce positionnement stratégique fait du pays une poudrière potentielle en cas de chute du régime. 1500 soldats américains sont déployés en permanence dans l'île. 

Une économie diversifiée
Bahreïn fait figure de parent pauvre à côté des autres monarchies pétrolières de la région, ses réserves de pétrole s'étant pratiquement taries. L'île a donc diversifié son économie, devenant une plateforme financière quand le Liban, qui tenait auparavant ce rôle au sein du monde arabe, a sombré dans la guerre civile en 1975. "Aujourd'hui, les services financiers pèsent plus lourd que le pétrole dans l'économie et le petit royaume héberge plus de 400 banques et institutions financières selon Le Figaro. Et le PIB a crû de 70% au cours des dix dernières années.  

Catherine Gouësset
Le Figaro, 17 février 2011

Nota de Jean Corcos :
Le Bahreïn occupe les "feux de la rampe", depuis que la vague révolutionnaire arabe est venue atteindre ce petit pays. Fatalement, les commentateurs de la quasi-totalité de la "blogosphère" juive francophone diffusent l'idée que, derrière cette révolte de la majorité chiite du pays, traditionnellement écartée du pouvoir, il y aurait la main de l'Iran. Bien entendu, il est probable que la République Islamique ait versé de l'huile sur le feu, trop heureuse de pouvoir déstabiliser les Émirats voisins alliés des Occidentaux. 

Mais ce genre de vision "complotiste" de l'Histoire revient toujours à mépriser les peuples et leurs aspirations ; à dénigrer les spécificités des pays, et la complexité des conflits ; bref, à voir les choses à l'opposé de ma propre démarche, qui vous invite à vous faire une opinion après avoir entendu des experts différents selon les sujets. Laurence Louër, chercheuse au C.E.R.I, a publié un petit ouvrage très dense "Chiisme et Politique au Moyen-Orient. Je lui ai consacré deux émissions en 2009, et nous avions parlé des Chiites de Bahreïn (voir la présentation ici)

Vous trouverez en lien le podcast en allant à l'émission du 17/05/09. En gros, elles disait que les revendications de cette communauté relevaient de la politique interne, tandis que les tentatives d'exporter la révolution islamique avaient échoué dans le Golfe : écoutez la donc pour vous faire une idée ! 

Lire aussi, enfin, cette toute récente interview en lien de Laurence Louër dans le journal "Le Monde" : en gros, elle pense que la monarchie bahreïni va surmonter cette révolution, car l'armée lui restera fidèle.

22 février 2011

Le pays sombre-t-il dans le néant ? « Lotf »* ! par Chaimae Bouazzaoui


Assassinat d’un prêtre, atteintes à la mosquée de Sidi El Bahri et à la synagogue de Sidi Laaribi et incidents antisémites devant la Grande Synagogue de Tunis, tel est le bilan d’une opération typiquement religieuse. Effectuée avant la fête du Saint Valentin et conclue trois jours après le Mouled juste avant le Shabbat, cette opération relève d’une irrévérence voire d’une goujaterie spectaculaires.
Une rupture est toujours douloureuse. Tellement exaspérants, ces incidents ont même irrité le nouvel Ambassadeur de la République française en Tunisie, au point de « banaliser » les propos des journalistes locaux.

Une conversion ne se fait pas de cette manière !

Quelque soient les motivations, attaquer un lieu religieux et saint, pour un ensemble ou une partie, est un acte infâme voire obscène, à condamner.

Les poches d'insécurité subsistent encore en Tunisie, les craintes d’instabilité s’instaurent davantage dans les esprits et une conversion ne se fait pas de cette manière. Je suis musulman, juif ou chrétien : je suis menacé ! A cette heure indue, le ressac se manifeste sur la Tunisie. Des incidents antisémites ont lancé l’onde de choc dans tout le territoire et les responsables de ces actes : extrémistes, mercenaires du RCD ou sbires de Leila qui a menacé de bruler la Tunisie et les Tunisiens, n’ont fait qu’aggraver la situation.

Le prêtre polonais Marek Rybinski a été retrouvé égorgé, après avoir été agressé, vendredi, dans le garage d’une école religieuse privée où il était chargé de la comptabilité. Il s’agit en effet du premier meurtre à la fois d'un religieux et d'un étranger depuis la chute du régime Ben Ali, il y a plus d’un mois.
Si certains faisaient circuler des rumeurs, fausses ou vraies, autour de ce prêtre, cela ne veut pas dire qu’il est légitime de l’agresser violemment et l’assassiner par la suite aussi farouchement.
Du sang et de la pierre, la mosquée de Sidi El Bahri, connue sous l’appellation de la "Mosquée des pêcheurs" a été détruite. Elle constitue un édifice de 3 siècles d’âge et se situe à Houmet Essouk, où vivent grand nombre de juifs, et ce à Djerba, "l’ile des rêves". Cela ne constitue pas la première tentative de la destruction de la mosquée historique parce qu’on a déjà voulu construire une nouvelle mosquée, en 2009, à la place de celle de Sidi El Bahri, mais la demande a été légalement gelée.

Aussi l’Institut national du patrimoine et l’Association pour la sauvegarde de l’île de Djerba ont mis en échec cette tentative et se sont opposés à cet acte, surtout que l’autorisation de démolition n’a pas été accordée aux responsables de cette action ni par la municipalité ni par le ministre des affaires religieuses. Dans ce cadre, une plainte serait déposée contre ces personnes par "l’Association de sauvegarde de l’Ile de Djerba".

La mosquée de Sidi El Bahri de l’ile de Jerba a été détruite pour des raisons "immobilières" au moment où d’autres lieux saints ont été détruits, vandalisés et saccagés pour des raisons "abstraites", exemple : la Synagogue de Rebbi Youssef el Maarabi à El Hamma près de Gabès.

Certains les ont qualifiées d’ "antisémites" alors que d’autres ont affirmé que les motivations étaient purement "révolutionnaires" et qu’elles n’avaient rien à voir avec le religieux ; aussi d’autres édifices ont été brulés et détruits. Une question : pourquoi l’affaire a été démentie au début et pourquoi le point n’a-t-il pas été clair là-dessus ?
La semaine dernière, la communauté juive de Tunisie a exprimé son inquiétude au gouvernement après des incidents antisémites devant la grande synagogue de Tunis.  "Là, nous sommes dans la vigilance", a répété vendredi le président de la communauté Roger Bismuth. Il ajoute que "c'est l’œuvre de salafistes, les plus extrémistes des islamistes formés par les wahhabites, mais il n'y a pas de terreau en Tunisie pour le développement du salafisme".
De Gabès à El-Hamma, et de ce dernier à l’Ile de Djerba, comment est-ce qu’on a pu alors arriver à la Manouba ? Le tragique n’a jamais été amusant : l’opération s’avère obscure et le "qui a fait quoi" et comment semble anonyme. Cela implante des graines de peur, d’angoisse et de terreur dans tout être sur cette terre surtout que l’on ne sait pas s’il s’agissait d’un fait divers ou d’une affaire tissée du passé récent.

Boris entre sur scène avec boras

A peine arrivé à Tunis, M. Boris Boillon, nouvel ambassadeur de France en Tunisie, semble avoir oublié sa valise diplomatique ailleurs…
"Je suis ici pour écrire une nouvelle page des relations bilatérales, ce qui suppose un autre style, une autre approche. Je suis ici pour découvrir ce qu’on n’a pas eu l’occasion de connaître, découvrir la société civile ", tels étaient ses propos.
Lors de sa première conférence avec les journalistes locaux, il a insisté : "on est vraiment ici pour ouvrir une nouvelle page entre nos deux pays et ça implique un autre style. Je veux découvrir la Tunisie et pas seulement la Tunisie de la capitale".
Question "débile" : est-ce un style de paradoxe ?
Le style s’est éclipsé juste après la conférence. Lors du repas, une question sur Michèle Alliot Marie a irrité son esprit jusqu’à dire : "Franchement, vous croyez que je suis de ce niveau là ! N’essayez pas de me faire tomber dans des petits trucs débiles ! Vous croyez que je suis dans la petite phrase !", "Je suis là pour exposer une philosophie. Vous croyez que moi, ambassadeur de France en Tunisie, je vais répondre à cette question. Madame Alliot Marie, c’est ma Ministre, elle a dit ce qu’elle avait à dire, et je n’ai rien à dire de plus que ça !", leur a-t-il adressé. Puis, lors des entretiens individuels, une journaliste de la radio Mosaïque FM lui a posé la question : "est ce que vous avez peur d’échouer dans votre mission, vous êtes jeune, il y a une certaine pression par rapport au contexte, les Tunisiens expriment des craintes ?"
L’ambassadeur a "répondu" alors : "ce ne sont pas des craintes, ce sont des jugements que l’on porte sur moi, c’est une insulte. C’est nul. Laissez-moi débuter ma mission ! Je suis un ambassadeur. Stop. C'est fini…( ?) C’est lamentable ! Je ne réponds pas à votre question !", a-t-il ajouté.

Résultat : De vives réactions ont été déclenchées sur les blogs, les sites de presse et les réseaux sociaux. Sur Faceboook, la page « Boris Boillon dégage » compte aujourd’hui 5847 personnes.
Sur le même réseau, on nous apprend que Mmes Wejdane Majeri, Afef Hagi et Shiran Ben Abderrazak - respectivement professeur universitaire, psychologue et chercheur en sciences politiques, basées à Tunis, au Milan et à Paris- n’ont pas pu rester inertes devant la position de la France et de son ambassadeur, et ont adressé alors une lettre ouverte à M. Boillon et qui sera publiée dans un magazine français. Dans cette lettre, elles lui affirment  que son "attitude, pleine de mépris et d'arrogance, lui  donne l'outrecuidance de parler ainsi à une journaliste tunisienne". Elles lui disent aussi que contrairement à ce que lui et ses maitres semblent  en droit de penser", la question était claire et nette. De surcroit, le peuple tunisien a besoin de savoir le rapport du nouvel ambassadeur. "Vous avez oublié votre fonction et avez répondu que cette question était un préjudice. Vous vous êtes même permis de traiter la question de "débile", ont-elles affirmé. "Sachez, cher monsieur, que la France, que vous représentez ici, à Tunis, a beaucoup à faire pour faire oublier, d'une part, son soutien inconditionnel à son ami Ben Ali pendant toutes ces années, mais, surtout, la position politique inadmissible qu'elle a soutenu pendant que nos jeunes mourraient et se battaient pour la liberté, l'une des valeurs pourtant inscrite dans la devise de votre patrie, monsieur"  lui ont-elles adressé.

"Ainsi nos préoccupations vous semblent déplacées ? Et bien, c'est que nous allons avoir un problème, cher monsieur  (…) Sachez que la volonté du peuple, aujourd'hui, Monsieur l’ambassadeur, est de vous dire, tout simplement, "dégage". Vous avez réussi avec votre comportement dédaigneux à tirer le pire du peuple tunisien, connu pourtant pour son accueil légendaire et sa générosité " ont-elles poursuivi.

Boris Boillon, le nouvel ambassadeur de France en Tunisie, a fait une entrée très remarquable sur la scène post Ben Ali. "Ouvert" dans un premier temps, il devient d’un seul coup "relativement agressif", et ce, lors de sa première conférence avec les journalistes locaux. Cela constitue une première prise de contact pas vraiment intelligente dans la diplomatie de l’ouverture.

*Interjection tuniso-tunisienne signifiant : on ne l’espère pas.

Chaimae Bouazzaoui
Tunis

21 février 2011

Révolution en Libye : des photos inédites !



Journalistes étrangers interdits de déplacements, chaînes de télévision empêchées de faire leur travail, et bien entendu médias officiels ne rapportant que des manifestations de soutien à Kadhafi : la révolution libyenne est cent fois moins médiatisée que celles, réussies, de la Tunisie et de l’Égypte voisines. Seulement, à l'ère d'Internet, des portables appareils de photos et des MMS, rien ne peut plus être dissimulé ! 

Un ami de mon réseau FaceBook qui a des contacts là-bas m'a envoyé tout un "album" de photos de la révolution : nouveau drapeau remplaçant l'étendard vert imposé par le dictateur, véhicules brûlés, bâtiments incendiés, et foules immenses ... comme cela fait plaisir à voir !

J.C

20 février 2011

Tunisie : premières réactions contre les provocations islamistes

Manifestation pour la tolérance,
Tunis, 19 février 2011

Je me suis fait l'écho - à ma connaissance, j'avais été le seul - de ce que l'on savait des "manifestants" ayant crié des slogans antisémites, vendredi  11 février, devant la Grande Synagogue de Tunis : l'article que vous avez pu lire sur ce blog a été repris sur le site du CRIF, mais malheureusement la "blogosphère juive francophone" a aussi publié des articles peu flatteurs pour les Tunisiens en général.

Outre le communiqué du gouvernement - certes, un peu tardif et faisant suite aux inquiétudes officiellement exprimées par le président de la Communauté juive de Tunisie, Roger Bismuth -, un parti politique a exprimé une condamnation très ferme que je reproduis ci-dessous :
"Dans un communiqué publié le 17 février 2011, le Mouvement Ettajdid « dénonce avec vigueur la manifestation organisée par un groupe d’intégristes extrémistes devant la grande synagogue de Tunis au cours de laquelle ils ont scandé des slogans racistes hostiles à la liberté de culte et à la démocratie. Il exprime son rejet de ces slogans qui visent à attenter à la foi et à la dignité de citoyens tunisiens appartenant à une minorité religieuse et appelle toutes les forces politiques et syndicales ainsi que les associations à être vigilantes à l’égard de tout ce qui est susceptible de remettre en cause les traditions nationales de tolérance et de respect de la liberté de conscience, qui constitue un de nos acquis modernistes que nous devons, plus que jamais, défendre et développer."

Il est vrai que ces provocations ne sont pas restées isolées, et que l'on a carrément basculé dans le tragique avec l'assassinat d'un prêtre catholique polonais dans la nuit du 17 au 18 février. Moins tragique, mais symptomatique d'un mauvais climat, les islamistes se sont aussi attaqués ... aux maisons closes de la capitale, épisode significatif et qui a été même rapporté dans la presse française !

Le camp que l'on pourrait appeler "laïc" a alors senti qu'il était temps de réagir, et a organisé une manifestation en plein centre ville qui devait réunir environ 15.000 personnes (voir la photo) ! Cet évènement, assez unique dans le monde arabe, a attiré l'attention des médias israéliens, comme on peut le voir en lien ici ou : pour une fois, on peut donc dire à la fois que l'amalgame "musulman = islamiste" a été clairement démenti ; et que cette réalité a bien été rapportée en Israël, alors même que la vague révolutionnaire dans le monde arabe est suivie avec beaucoup d'inquiétude ...

J.C

Kadhafi ou le fascisme vert théorisé

Extrait du site officiel libyen "The green book"

Introduction
Le régime de Kadhafi est enfin sur la sellette ! C'est son propre peuple qui se révolte après 41 ans de règne sans partage. Un règne qui a failli tourner court lorsqu'il a directement sponsorisé le terrorisme anti-occidental, mais qu'il a su habilement prolonger en devenant "raisonnable" pour les Américains et les Européens - mais toujours aussi provocateur et manipulateur : il suffit de cliquer sur son nom, en libellé ci-dessous, pour voir qu'au moins sur ce blog il n'aura pas fait l'objet de complaisance. Mais au delà des appels à convertir le Monde à l'islam, ou de ses prises d'otages à, répétition, Kadhafi a poussé le cynisme jusqu'à critiquer nos propres institutions démocratiques, en vantant son propre système ... destiné à le maintenir en place jusqu'à sa mort, sous couvert "d'autorité du peuple". 
Je vous invite à relire cet article, que j'avais publié en août 2007 et qui levait un peu le voile sur ce "fascisme vert" mal connu !
J.C

Il a beaucoup été question de Kadhafi dans les médias, depuis la libération des infirmières et du médecin bulgares le 24 juillet dernier : polémique autour du voyage de Nicolas Sarkozy ; annonce de ventes d’armes de la France ; commission d’enquête sur les dessous de la sordide et longue négociation ayant abouti à la libération de ces malheureux otages par un pays qui entend rentrer, totalement, dans la communauté internationale ...
Je ne vais pas ici remplir artificiellement le blog à force de « copié collé ». La simple reprise passée de deux éditoriaux, l’un d’un journal de gauche (« Le Monde »), l’autre d’un journal de droite (« Le Figaro »), témoigne de la gêne éprouvée par beaucoup d’observateurs au moment de ces grandes retrouvailles franco-libyennes. Mais oublions un moment l’affaire des infirmières, les négociations et les contrats d’armement : il est légitime, au moins, d’en savoir un peu plus sur le régime de Tripoli qui semble maintenant admis - Américains en tête - comme un partenaire des Occidentaux. Simple dictature (avarie hélas connue dans la presque totalité du monde arabe) ou pire ? La deuxième réponse est la bonne.

Car le colonel Kadhafi, qui tient d’une main de fer le pays depuis presque 40 ans (le coup d’état ayant renversé la monarchie a eu lieu en 1969), ne fait même pas semblant de jouer au président démocratiquement élu ; ailleurs, dans les pays voisins, l’existence de partis politiques d’opposition plus ou moins tolérés et des urnes plus ou moins bourrées les jours des scrutins, permettent au moins de « faire semblant ». En Libye, rien de tel : la Démocratie, en tant que système de gouvernement est ouvertement décriée, déclarée nulle ; et pas seulement chez eux, mais également ailleurs, ce qui est l’expression d’un fascisme « sûr de lui-même et dominateur », pour reprendre l’expression d’un ancien Chef de l’État français qui pensait avoir tout compris sur l’Orient compliqué !
Je vous invite à consulter d’urgence sur ce lien la présentation officielle (en anglais) du « Livre vert », qui est au régime libyen ce qu’était le « petit livre rouge » à la Chine de Mao ... ci-dessous une traduction d’un petit extrait, où la démocratie parlementaire est vilipendée :
« Les parlements sont l’ossature de la démocratie conventionnelle prévalant dans le Monde aujourd’hui. Les parlements sont une représentation déformée du peuple, et les systèmes parlementaires sont une fausse solution au problème de la démocratie. Un parlement est originellement fondé pour représenter le peuple, mais il est en lui-même antidémocratique car la démocratie signifie l’autorité du peuple et non d’une autorité agissant en son nom ».
Cela ne vous rappelle-t-il rien ? Le peuple en tant qu’entité organique indivisible ? Le refus de toute dialectique entre mouvements d’idées ? La foule mythique représentant l’essence de tout pouvoir ? Les théoriciens du totalitarisme ne tenaient pas des discours fondamentalement différents dans les années 30 !

Mais on trouve d’autres « merveilles » dans ce site, comme l’organisation de la société selon un schéma circulaire (voir l’illustration), l’opinion de la base étant récoltée lors de réunions de « comités populaires » ... « Démocratie participative » à la sauce Kadhafi, ou enfermement symbolique de tout débat dans un schéma fermé ? Né dans une tribu bédouine, le colonel dictateur a sans doutes été inspiré par les « achouras », conseils d’anciens sous la tente au clair de Lune, et où chaque clan palabrait. Cliquez par exemple sur le lien « social basis » de ce site officiel : vous y trouverez vantés les mérites de la tribu, comme strate intermédiaire entre la famille et la nation ! Et tout cela présenté, sans rire, non pas comme une organisation sociétale justifiée par leur tradition, mais comme une nouvelle « troisième théorie universelle », la seule voie de la vérité entre capitalisme et socialisme !

Jean Corcos

19 février 2011

Où va le Maghreb après la révolution tunisienne ? Pierre Vermeren sera mon invité le 27 février

Manifestation à Alger (cliché copyright STR/AFP)
cliquer sur la photo pour agrandir


Nous allons enfin aborder les évènements extraordinaires qui ont mis le monde arabe au premier plan de l'actualité ces dernières semaines. Révolution en Tunisie, renversement de Hosni Moubarak, émeutes dans plusieurs pays , il va falloir parler de tout cela mais en essayant d'aborder les choses en profondeur, avec des invités qualifiés et à chaque fois en prenant un angle précis de réflexion. Nous parlerons de l'onde de choc au Moyen-Orient lors de notre prochaine émission, le 13 mars, puis deux semaines plus tard le numéro de "Rencontre" sera exclusivement consacré à la Tunisie. Dimanche prochain, nous allons parler du Maghreb, en voyant si la "Révolution du jasmin" peut gagner, à leur tour l'Algérie et le Maroc, et mon invité sera Pierre Vermeren. Mes auditeurs fidèles le connaissent bien car il est venu souvent sur mon plateau, rappelons qu'il est historien de formation, arabisant, et maître de conférences en histoire du Maghreb contemporain à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. J'avais fait sa connaissance il y a déjà plus de six ans, autour de son livre au titre bien en phase avec l'actualité : "Maghreb, la démocratie impossible ? ," publié aux éditions Fayard. Il est un des seul experts français à avoir posé, à l'époque, le scandale de l'absence de libertés dans ces pays si proches du notre, mal connus malgré les liens historiques et économiques, et pourtant traités avec tellement de condescendance. Mais il y a un autre raccourci que je voudrais évoquer ici : il m'envoie, de temps en temps, un article que je publie sur ce blog : or j'ai publié le 10 janvier, soit juste avant la chute de Ben Ali un texte titré "En attendant Godot", et écrit alors que personne ne prévoyait ni son départ ni celui de Moubarak ; il disait, je le cite : "Désarmée, endettée, sans vision manifeste et sans illusion, l’Europe est spectatrice. Or une grande alternance se prépare au Sud de la Méditerranée. Les Présidents d’Égypte, d’Algérie et de Tunisie doivent passer la main entre 2011 et 2014." Tout s'est précipité depuis, la grande alternance s'est faite brutalement, et nous allons y revenir ensemble.

Parmi les questions que je poserai à Pierre Vermeren :

- Personne n'a vu venir la révolution tunisienne, mais personne non plus n'avait prévu les grandes révolutions, 1789, la révolution bolchévique, la chute des régimes d'Europe de l'Est, etc. Pourquoi ?
- Vous avez publié dans le journal "l'Express" une tribune libre, co-signé avec Khadija Mohsen-Finan, universitaire à Paris VIII, qui était un véritable "coup de gueule" contre les autorités politiques françaises, complètement surprises par ce qui s'est passé en Tunisie en restant sur des images simplistes des trois pays du Maghreb. Comment expliquer cet aveuglement ?
- Vous aviez été interviewé par le journal "Libération" le 5 janvier dernier, alors que les émeutes se développaient en Tunisie ; votre analyse était que "le modèle chinois", où "chacun est libre de s’enrichir et le parti s’occupe de tout" n'a pas fonctionné. Pourquoi cet échec, alors que tout le  monde vantait la croissance dans ce pays, qui a été de 5 % par an pendant de nombreuses années ? On a dit que les détournements de fonds maffieux du clan Ben Ali  avaient coûté des milliards d'euros au pays, est-ce la seule raison de ce naufrage ?
- Pour le moment, le régime algérien semble tenir. La grande marche dans Alger le 12 février n'a rassemblé que quelques milliers de courageux manifestants, face à des policiers dix fois plus nombreux qui les ont isolés après avoir quadrillé la capitale. La C.N.C.D, "coordination nationale pour le changement et la démocratie" a décidé de continuer les actions jusqu'à la chute du régime Bouteflika, mais jusqu'à présent elle semble isolée. Comment l'expliquez-vous ?
- Une révolution au Maroc vous semble-t-elle possible ? On répond toujours, quand on fait le rapprochement avec la Tunisie, deux choses : premièrement, le Roi et la dynastie disposent d'une légitimité que n'ont pas des dictateurs comme Ben Ali ou Bouteflika ; deuxièmement, le "Makzen", cercle de pouvoir autour du trône, a su mettre en place des soupapes de sécurité, une presse plus ou moins libre, des partis politiques, des syndicats ... est-ce toujours vrai, ou peut-on avoir une grosse surprise ?

Une actualité brûlante, et un expert de qualité, qui s'exprime de plus en plus souvent, aujourd'hui, dans les colonnes des journaux : j'espère que vous serez nombreux au rendez-vous dimanche prochain !

J.C

18 février 2011

L'Egypte est un don du Nil, par Albert Soued

Le Caire

"L’Égypte est un don du Nil". C'est ce que j'ai appris au Lycée d'Héliopolis quand j'étais gamin. Mais à cette époque il  n'y avait que 15 millions d'âmes à nourrir, grâce aux eaux du fleuve. Aujourd'hui, comment le même Nil peut-il nourrir plus de 80 millions d'habitants ? L’Égypte est obligée d'importer sa nourriture dont le prix a fait un bond gigantesque ces dernières années. Malgré les subventions, le citoyen égyptien n'arrive pas à joindre les deux bouts et a souvent faim. La croissance économique ne parvient pas à juguler la croissance démographique et créer des emplois. Celui qui a la chance d'en trouver un a peur de le perdre et de sombrer dans la misère où sont nés ses parents.
Le citoyen dans la misère est pris en charge par des organisations caritatives religieuses financées par l'Arabie saoudite. Ce pays finance les retraites des médecins, avocats, journalistes et ingénieurs. L'économie égyptienne est renflouée par des apports américains de l'ordre de deux milliards $/an qui ont servi dans le passé à acheter surtout des armes. Les États-Unis et l'Arabie sont les deux plus grands donateurs de l’Égypte.

Pour faire face à une situation socio-économique qui se détériorait, Nasser a fait appel à la fierté nationale, aux conflits armés hégémoniques et à la démagogie qui ont ruiné encore plus le pays. Sadate a enterré la hache de guerre, a fait la paix avec Israël, et il  s'est allié à l'Occident. Sur les traces de Sadate assassiné par les Frères Musulmans, Moubarak a amorcé la modernisation de son pays, en s'appuyant sur une oligarchie, souvent militaire, qui n'a pas su redistribuer les richesses créées. Le pays s'est enrichi grâce au tourisme, au gaz, à l'intensification du trafic à travers le canal de Suez et aux activités subsidiaires qui ont été générées. La classe moyenne, qui existait à l'époque royale et qui a été annihilée à l'époque de Nasser, a réussi à émerger de nouveau durant ces deux ou 3troisdernières générations, mais elle est fragile et frileuse.

Cette classe moyenne, docile et enjouée, qui a accepté pendant 60 ans un régime autocratique et le joug du quadrillage policier des "moukhabarat" (renseignement) et du parti politique unique, n'a pas accepté en plus de s'appauvrir, avec la crise économique, alors que la classe dirigeante corrompue continuait de se remplir les poches. C'est elle qui a libéré l’Égypte "place de la Libération".
De nombreux autres facteurs ont contribué au succès: un dirigeant vieillissant et malade, au bout du rouleau, l'explosion des relations par internet et par mobile, les interférences extérieures (le président Obama, l'Europe et l'Iran), le travail de sape des Frères Musulmans. De plus, Moubarak n'a pas su ou voulu protéger les minorités comme les Coptes chrétiens, et s'était mis à dos les juges. Or la justice est une valeur essentielle pour les Égyptiens, et l'absence de justice se trouve au cœur de toutes les protestations.
Le trucage aux dernières élections législatives de 2010, où les partis liés aux Frères Musulmans (1) se sont retirés du scrutin et où le parti du pouvoir, le PND a obtenu plus de 98% de voix, a déclenché une colère contenue. L'étincelle est venue d'un pays voisin où un jeune chômeur tunisien s'est immolé par le feu, victime d'une injustice et pris à partie par la police de son pays et provoquant un soulèvement populaire.

Un autre facteur latent pourrait aussi avoir contribué à éveiller les esprits d'une population à moitié analphabète, afin qu'elle choisir son destin. Le référendum au Soudan méridional qui s'est conclu massivement par l'indépendance d'une région où se situe l'une des nombreuses sources du Nil. Farouk était roi d’Égypte et du Soudan. L’Égyptien de la rue méprise le Noir d'Afrique, le traitant de "barbari" (être étrange non humain) ou de "a'bd" (esclave). Et voilà que ce Noir, de plus chrétien, peut décider de son sort et choisir son régime.

La junte militaire qui a pris le pouvoir au nom du peuple a devant elle d'énormes défis.
Défi politique: comment arriver à reconstituer un état avec un minimum de démocratie, une "démocratie" adaptée à la société et aux mœurs égyptiennes (2).
Défi socio-économique, alors que le revenu moyen n'est pas très supérieur à 1300 $/hab/an, (3) que les ressources sont limitées et que près d'un tiers de la population est sans emploi et conditionnée par des sheikhs salafistes rétrogrades.
Défi sécuritaire: comment assurer la sécurité du pays, alors que des bandes de bédouins occupent le Sinaï et rançonnent les pouvoirs publics, à coup d'attentats et de sabotages
(4), alors que 10% des citoyens, les coptes (5), vivent dans la peur d'êtres persécutés, harcelés ou tués, alors que le pays a une police puissante et un Service de Renseignement pléthorique (2 millions de personnes), l'armée la plus nombreuse du Moyen Orient (un million de soldats), la plus équipée (6), avec des officiers de plus en en plus ouverts à l'islamisme (7).
Défi relationnel avec son voisin, Israël: un traité de paix a été signé en 1979 par Anwar al Sadate et il a été respecté pendant la présidence de Moubarak. Il n'est pas sûr que ce traité soit respecté par les autorités qui émergeront du chaos actuel, surtout si la composante religieuse est forte. (8)

Le monde entier observe avec sympathie les insurgés de la place de la Libération: sauront-ils transformer l'avantage qu'ils ont aujourd'hui en une partie gagnante, en construisant, avec l'aide de la junte, une patrie libre, stable et prospère ? Ou bien une fois de plus l’Égypte sombrera dans la nuit d'un Orient voué à la destruction (9).

Albert Soued
publié sur le site "nuitdorient.com" 

Notes
(1) Le groupe des Frères Musulmans a obtenu aux élections de 2005, 20% des sièges au Parlement égyptien, ses candidats se présentant sous diverses étiquettes.
(2) La constitution égyptienne accorde au président un pouvoir sans limite. La constitution est à revoir sérieusement, ainsi que l'équilibre des pouvoirs des organes politiques.
(3) Le revenu moyen du Tunisien est le double.
(4) La situation au Sinaï menace aujourd'hui la sécurité de l’Égypte. La contrebande d'armes, de drogues, de femmes bat son plein.  De plus des agents du Hamas et du Hezbollah travaillant pour l'Iran se sont infiltrés dans la péninsule et coopèrent avec les groupes installés en montagne d'Al- Qaida et leur fournissent des armes et des explosifs.
(5) Les Coptes, descendants chrétiens des égyptiens de l'Antiquité, subissent la violence de meutes fanatisées par les Frères Musulmans et sont obligés de plus en plus de s'expatrier, représentant aujourd'hui moins de 10% de la population, au lieu des 20/25% après la 2ème guerre mondiale.
(6) En 25 ans, l’Égypte a dépensé 55 milliards de dollars pour ses forces armées, et en a reçu 56 milliards sous forme d’aide américaine
(7) Un ex-officier des renseignements militaires israéliens, Youval Steinitz a affirmé que "l'accumulation d'armes égyptienne est disproportionnée et alarmante" et "pendant des d'années d'incitation, Moubarak a préparé psychologiquement son peuple à la guerre contre Israël… l'Egypte cause à Israël plus de dommages diplomatiques et constitue une menace militaire plus grande que tous les États de la région qui sont pourtant nos ennemis déclarés"
(8) L'Egyptien n'a pas de sympathie particulière à l'égard du citoyen de Judée Samarie, généralement d'origine syrienne ou arabe de la péninsule. Le citoyen de Gaza est soit un bédouin, soit un immigrant d'origine égyptienne et Gaza avait été rattachée à l’Égypte entre 1949 et 1967. Mais pendant 63 ans, le citoyen égyptien a été intoxiqué par l'argument que les Juifs ont spoliés des Arabes. D'où une antipathie égyptienne, entretenue par l'état et ses médias, à l'égard des Israéliens. Mais l'homme de la rue ne veut pas de guerre avec Israël, une simple rupture des relations.
Une question plus sérieuse concerne l'attitude de l'Armée vis-à-vis des Frères Musulmans. Elle serait sans doute plus indulgente à leur égard que Moubarak, du fait de l'infiltration en son sein d'officiers islamistes ou par simple calcul politique, pour partager le pouvoir avec eux et asseoir un semblant de légitimité.
(9) Le ministre israélien Binyamin Ben Eliezer (Fouad) a eu un entretien téléphonique avec Hosni Moubarak qui lui aurait dit, la veille de sa démission: "On voit ce qu'est devenue la démocratie que les États-Unis ont voulu installer en Iran, à Gaza… C'est cela le destin du Moyen Orient. Les Américains ne savent pas de quoi ils parlent, quant ils parlent de démocratie ici; comme résultat ils auront l'extrémisme et l'Islam radical. L'avalanche  ne s'arrêtera pas à l'Egypte, elle emportera tous les pays du Moyen Orient et du Golfe…. Aucun ne sera épargné. L'Amérique a encouragé une ère de troubles, de changements dramatiques et de soulèvements"