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28 août 2011

Pourquoi Israël ne veut pas d'une guerre à Gaza

Batterie anti-missiles "Dôme d'acier"


L’Etat hébreu ne veut pas offrir aujourd'hui ce cadeau à la Syrie et à l'Iran et cherche à éviter une rupture avec l’Égypte de l'après-Moubarak.

Il est 3 heures du matin, dans la nuit de dimanche à lundi, lorsque le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, réunit son cabinet restreint de sécurité. Une réunion d’urgence au cours de laquelle il est décidé de ne pas lancer d’offensive terrestre sur Gaza. En clair: éviter un Plomb durci numéro 2. Depuis l’attentat d’Eilat, ce jeudi, ce sont plus d’une centaine de roquettes qui ont frappé le sud d’Israël. En représailles, l’armée israélienne a bombardé de nombreuses cibles du Hamas, au pouvoir à Gaza. Néanmoins, selon la population gazaouie, la riposte israélienne est restée plutôt mesurée, en comparaison à d’autres incidents du même genre dans le passé. En décidant de ne pas lancer de vaste offensive sur Gaza, Israël prend le risque d’apparaître vulnérable aux yeux de ses ennemis. Alors quelles peuvent être les raisons de cette décision?
D’abord, depuis les attaques de jeudi, les relations entre Israël et l’Egypte sont mises à mal. Il serait quelque peu exagéré de parler de crise diplomatique mais Le Caire a tout de même menacé de rappeler son ambassadeur en Israël. La cause: la mort de cinq policiers égyptiens, lors de raids israéliens, alors que Tsahal pourchassait des assaillants en fuite. Pour l’heure, une enquête, menée conjointement par les deux pays, est en cours pour déterminer les circonstances de cet accident. Le Caire a demandé des excuses officielles, Israël a dit «regretter» la mort de ces policiers.
L’Egypte est le premier pays arabe à avoir signé la paix avec Israël, lors des accords de Camp David en 1978. Sous l’ancien régime égyptien, Israël avait un allié de poids en la personne d’Hosni Moubarak, qui avait apporté un soutien tacite à l’Etat hébreu, lors de l’opération Plomb durci, en décembre 2008 et janvier 2009. Israël avait les mains libres, sans se soucier de réactions hostiles de la part du Caire. Certes, sous l’ancien raïs égyptien, les deux pays entretenaient une paix froide, mais calme depuis 30 ans.
Le nouveau pourvoir en place en Egypte montre un changement de cap dans sa politique envers Israël. «Il y a une incertitude sur les relations entre les deux pays, assure Emmanuel Navon, professeur de relations internationales à l'Université de Tel-Aviv. Le Hamas et le Djihad islamique veulent tester ces relations et traîner Israël dans une situation embarrassante avec Le Caire. Or, Israël ne veut pas d’une dégradation de ses relations avec son voisin égyptien.» En cas d’opération terrestre sur Gaza, l’Etat hébreu risquerait de s’attirer les foudres de l’Egypte. Il préfère donc jouer la carte de l’apaisement avec son allié stratégique dans la région. «On a voulu détruire les relations entre les deux pays», a déclaré Ehud Barak, le ministre israélien de la Défense.

Le 20 septembre, enjeu essentiel

Au niveau diplomatique, Israël rentre dans une période cruciale. Le 20 septembre prochain, l’Autorité palestinienne demandera l’adhésion d’un Etat palestinien aux Nations Unies. Voici ce qu’a annoncé la radio israélienne, lundi matin: «Le cabinet a pris cette décision pour ne pas déclencher des manifestations de masse en Égypte susceptibles de déstabiliser le régime en place au Caire et de porter atteinte aux intérêts d'Israël à l'étranger à l'approche de la demande palestinienne d'adhésion d'un État palestinien à l'ONU en septembre». En cas de guerre à Gaza, Israël risquerait de donner encore plus de crédits à l’initiative palestinienne et d’anéantir les efforts de Benyamin Nétanyahou. Le Premier ministre israélien essaie d’obtenir le meilleur soutien possible de la communauté internationale pour faire échouer le projet palestinien. «Israël ne veut pas être sur la sellette, analyse Emmanuel Navon, ce qui risquerait de faire échouer son initiative diplomatique.» 

Mains de la Syrie et de l’Iran? 

Une offensive à Gaza risquerait de détourner l’attention de la répression en cours en Syrie. Le journal arabe, Al-Sharq Al-Awsat, basé à Londres, affirme que derrière les attaques d’Eilat, se cache la main du président syrien, Bachar el-Assad. «C’est la stratégie habituelle du régime syrien, constate Emmanuel Navon, professeur de relations internationales à l'Université de Tel-Aviv. Utiliser Israël pour détourner l’attention.» En cas de nouvelle guerre contre le Hamas, tous les regards se tourneraient vers ce petit territoire qui abrite plus d’1 million et demi de personnes. Oubliés les morts en Syrie, Bachar el-Assad se retrouverait les mains libres, et pourrait se faire oublier quelques temps sur les scènes médiatique et internationale. Un scénario qui rappelle ceux de la Naksa (commémoration palestinienne du déclenchement de la guerre des Six-Jours le 5 juin 1967). Le 5 juin dernier, plusieurs centaines de manifestants syriens et palestiniens ont tenté de franchir la ligne de cessez le feu israélo-syrienne, sur le plateau du Golan. L’armée israélienne a alors tiré sur les manifestants, faisant 23 morts selon la Syrie. L’opposition syrienne a accusé le pouvoir en place à Damas d’avoir organisé l’envoi de réfugiés à la frontière avec Israël, afin de faire diversion, de la révolte en Syrie. Le Parti de la réforme syrien, basé à Washington, s’appuyant sur des sources locales, a révélé que les autorités syriennes ont payé 1000 dollars à qui voulait participer à la manifestation à la frontière, et promis 10000 dollars à la famille de quiconque était tué. 
L’Iran serait celui qui tire les ficelles de cette diversion, pour tenter de porter secours à son allié syrien. Téhéran aurait coupé toute aide financière au Hamas, ou du moins, aurait réduit le montant des fonds versés au mouvement islamiste. Le régime des Mollahs reproche au Hamas de ne pas assez soutenir Bachar el-Assad. «C’est une sorte de surenchère islamique, précise Emmanuel Navon. Le Djihad islamique soutenu par l’Iran veut se montrer plus royaliste que le roi. Il n’est pas impossible que la Syrie soit impliquée dans la reprise des tirs de roquettes, et qu’elle se serve du Djihad islamique pour embarrasser le Hamas.»

Un nouveau Moyen-Orient

Une offensive israélienne déclencherait une vague anti-israélienne dans tout le Moyen-Orient, mais aussi à travers le monde. Elle ne ferait que raviver une haine farouche vis-à-vis d’Israël et des juifs, l’antisémitisme resurgirait au grand jour. Lors de l’opération Plomb durci, des manifestations en soutien à Gaza avaient rassemblé des millions de personnes dans près de 100 villes à travers le monde. Israël serait à nouveau délégitimé de toutes parts, notamment dans un Moyen-Orient post révolution. Car les révolutions arabes ont bel et bien modifié le visage de cette région. Et tendent à isoler davantage Israël. Le nouveau gouvernement égyptien est moins conciliant envers l’État hébreu qui observe avec inquiétude les événements en Syrie. La chute de Bachar el-Assad pourrait avoir de graves conséquences sur l’équilibre de la région et sur Israël. Bien que les deux pays soient toujours en guerre, le régime alaouite a maintenu un calme relatif à la frontière israélo-syrienne, depuis la guerre de 1973. Le départ d’Assad laisserait un pouvoir vacant, susceptible d’être récupéré par des éléments plus extrémistes, au détriment d’Israël.
Une opération à Gaza annihilerait tout chance de libérer le soldat franco-israélien Guilad Shalit. Dernièrement, Khaled Mechaal, le chef en exil du bureau politique du Hamas, s’est rendu au Caire sur fond de rumeurs d’une reprise prochaine des négociations pour un échange de prisonniers palestiniens contre le caporal Shalit. Le Premier ministre israélien aurait même lâché du lest concernant l’expulsion à l’étranger de prisonniers palestiniens. Ces derniers pourraient finalement rentrer en Cisjordanie ou à Gaza. Plusieurs sources ont fait état d’un accord imminent, avant que les négociations indirectes via l’Égypte soient interrompues.
Une source proche de Benyamin Nétanyahou a confié que l’accord de cessez-le-feu conclu avec le Hamas était une «décision motivée par la peur d'être entraînée dans un cycle de violence. Ce serait une erreur d'entrer en guerre seulement parce qu'un commando terroriste a commis un acte meurtrier dans le sud.» Reste tout de même l’attitude des groupes armés palestiniens. S’ils maintiennent le calme, il n’y aura pas d’opération israélienne. Dans le cas contraire, toutes les raisons évoquées ci dessus pourraient être vite mises de côté. Au risque d’assister à un déchaînement de violence, pas seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie.

Kristell Bernaud
Slate.fr, 23 août 2011

Nota de Jean Corcos :
Je me réjouis de lire, sous la plume de cette journaliste indépendante résidant à Jérusalem, une analyse recoupant en plusieurs points ce que j'écrivais il y a une semaine. Main probable de l'Iran et de la Syrie, risque à se lancer dans une guerre imposée, nécessité absolue de préserver la paix avec l’Égypte ... autant d'arguments qui incitaient à la prudence ; et alors que je n'ai jamais caché le peu d'estime que j'avais pour le gouvernement actuel de Jérusalem, un minimum d'honnêteté m'oblige à le saluer là-dessus ; d'autant plus que les deux trêves conclues cette semaine ont été aussitôt violées par des organisations islamistes de Gaza, et que la population du Sud du pays a vécu encore des jours d'angoisse. Rendons enfin hommage au système anti-missiles "Bouclier d'acier" (voir photo) dont les deux batteries ont évité un bilan humain et matériel beaucoup plus lourd !