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07 juin 2010

Visite du pape à Chypre : un voyage sous l’ombre de l’occupation turque



Le voyage de Benoît XVI à Chypre, île divisée en secteur turc et secteur grec, s'est terminé dimanche 6 juin 2010 . Il est le premier pontife à visiter une île divisée depuis l'occupation par la Turquie d'un tiers du territoire en 1974.
Cette visite dans ce territoire situé aux portes d'un Proche-Orient majoritairement musulman est une occasion d’alerter l'opinion publique sur la situation désastreuse des Chrétiens, notamment en Asie mineure turque, au Proche et au Moyen Orient. Cette visite a été précédée par l'assassinat, le 3 juin à Istanbul, de Mgr Luigi Padovese, président de la conférence épiscopale en Turquie, par son chauffeur turc.
Le voyage du pontife de Rome à Chypre est aussi un rappel que la Turquie occupe toujours le nord est de l’île (40% du territoire) et qu’un mur de séparation y est construit comme frontière. Un état fédéré turc a été créé dans le nord de l’île, état d’occupation qui n’est reconnu par personne, excepté par la Turquie. Plus de 200 000 personnes ont dû quitter la région et se sont retrouvées sans toit et dans un grand dénuement. (personne ne parlent d’eux puisque ce ne sont pas les célèbres palestiniens).
En 1974, l’intervention militaire de la Turquie a produit à désastre pour les chypriotes grecs. Le 20 juillet 1974, les troupes turques débarquent 10 000 soldats au nord de l'île et occupent en deux jours 38 % du territoire chypriote. Des colons turcs peuplent peu à peu l’île (1). Des centaines de Chypriotes grecs étaient contraints de quitter le nord pour le sud de l'île. Le 15 novembre 1983, le leader des chypriotes turcs, Rauf Denktaş, proclame l'indépendance de la « République turque de Chypre du Nord ». Les Nations unies désapprouvent cette proclamation d'indépendance et la considèrent juridiquement nulle.
La République de Chypre est la seule internationalement reconnue. Elle dispose d'un siège à l'ONU et est membre de l'Union européenne (UE). Elle est réputée exercer sa souveraineté sur l'ensemble de l'île, cependant elle ne contrôle pratiquement que la partie méridionale. La République turque de Chypre du nord (RTCN), qui n'est reconnue que par la Turquie, et est aujourd’hui peuplée par des Chypriotes d'origine turque, et des Turcs issus de la politique de colonisation organisée à partir de 1974 .Prés de 99 % des habitants de Chypre du Nord sont musulmans (des colons musulmans donc).
Depuis 2004, l'Organisation de la Conférence Islamique a accordé à cet cette entité de facto, le statut d'observateur sous le nom de l'État turc de Chypre ! Cette Organisation qui regroupe tous les pays musulmans soutient la politique de colonisation islamique de l’île.
Cette République autoproclamée comme un État dans la partie nord est une entité illégale qui est soutenue par la Turquie, qui a envoyé en mars 1964 des avions qui ont bombardé certaines zones de l'île, peuplés de Chypriotes grecs. Ankara refuse toujours le retour de tous les réfugiés chypriotes grecs dans la partie nord, le démantèlement de toutes les colonies turques et une démilitarisation intégrale de la partie nord. Par conséquent la zone turque ne fait pas partie de l'Union européenne et est exclue de toute union (économique, monétaire, douanière...) et de l’espace Schengen.
La séparation entre l’entité illégale du Chypre du Nord et la République de Chypre, appelée la ligne verte, est sous le contrôle de 1 400 casques bleus. L'armée turque est présente en Chypre du Nord avec 300.000 soldats. Le Major général de la force de sécurité de Chypre du Nord est désigné par cette même armée turque. La force de sécurité chypriote turque est sous les ordres d’Ankara. Le surnom donné aux soldats chypriotes turcs est "Mücahit" (celui qui se bat pour Allah et pour l'Islam). La Turquie est également en charge de la formation de la police chypriote turque.
La visite de Benoît XVI sur l’île de Chypre, dont une partie reste, encore et toujours, sous occupation militaire turque, est l'occasion de dénoncer cette présence illégale des soldats de l'occupation turque. Ce territoire fut soumis à l'administration militaire et des milliers de colons turcs ont créé là leurs propres implantations.
Le fait est que quiconque examine d'un oeil critique l'état d'occupation de cette île, pourrait comprendre que la propagande en faveur de l’adhésion de la Turquie à l'U.E est très grave. Elle risque de récompenser un Etat colonial responsable aussi du drame de l’Arménie, de la question kurde et de la colonisation de Chypre. L'état turc est basé sur une doctrine de la soumission des autres peuples, chypriote mais aussi kurde (2) .Pour la cause chypriote, la seule démarche légitime réside dans le retour du peuple chypriote dans la patrie nord de l’île et le départ de l'armée d’occupation turque du Chypre du Nord.
Ftouh Souhail,
Tunis
(1) En 1870, l'île de Chypre a passé déjà passé plus de trois siècles aux mains des Ottomans. En 1878, l'Empire ottoman cède Chypre à la Grande-Bretagne.
(2) Les exactions inhumaines de la Turquie contre la population civile kurde ont été mises en évidence par quelques documents télévisés et elles sont si brutales que l'on ressent une très grande émotion en les regardant et que l'on regrette profondément de ne pas pouvoir s'y opposer.
Nota de Jean Corcos :
Mon ami Souhail Ftouh exprime une colère que beaucoup partagent, en voyant l'exploitation éhontée faite par le gouvernement Erdogan, suite à l'arraisonnement sanglant du "Maris Marmara" : clairement, les Turcs sont très mal placés pour jouer les "pères la morale" auprès d'Israël ; et le silence de l'opinion publique arabe face aux violations des droits de l'Homme de ce pays relativise vraiment les cris d'indignation, lorsque des non musulmans en sont accusés ; c'est exactement ce qu'a dit hier matin à mon micro Chawki Freiha, en rappelant combien le blocus maritime du réduit chrétien du Liban à la fin des années 80 avait peu indigné le monde, même lorsque l'artillerie syrienne tirait sur des bateaux civils !