Rechercher dans ce blog

25 octobre 2011

Les 10 raisons pour lesquelles nous savons que l’Iran veut la Bombe


Le 4 septembre dernier Téhéran a annoncé que la centrale de Bushehr était connectée au réseau. Bushehr est la façade pacifique du programme nucléaire iranien. En même temps, d’après les constatations du dernier rapport de l’AIEA, l’Iran continue ses progrès vers l’obtention de l’arme nucléaire. On peut souligner que dans ce rapport l’Agence a exprimé son « inquiétude croissante » au sujet de l’existence possible en Iran « d’activités nucléaires militaires secrètes passées ou présentes y compris celles en rapport avec le développement d’une charge nucléaire pour missile. » [1]

Comment savons-nous que l’Iran veut la bombe? Il n’y a pas une seule preuve irréfutable (et comment pourrait-il y en avoir, sauf essai nucléaire?), mais plutôt une multitude de pistes qui conduisent à cette constatation. La plupart proviennent des travaux de l’AIEA. Prises dans leur ensemble, elles mènent à la conclusion évidente que l’Iran veut au minimum une option nucléaire, et probablement la bombe atomique.

1.    L’Iran a cherché à cacher ses activités et installations à l’AEIA
En 2003, l’ampleur des efforts iraniens a éclaté au grand jour. L’Iran avait caché la construction d’une usine d’enrichissement à Natanz et d’un réacteur de recherche à Arak, la fabrication de centrifugeuses, l’existence d’un programme d’enrichissement au laser, ainsi qu’un certain nombre d’expériences sensibles. [2] L’Iran a ensuite empêché l’AIEA de réaliser une inspection complète des sites de Lavisan-Shian et de Parchin, suspectés d’abriter des activités nucléaires. Plus tard, l’Etat iranien a omis de déclarer à l’avance la construction de l’usine d’enrichissement de Fordoo.

2.   Les activités les plus sensibles d’Iran sont contrôlées par le Ministère de la Défense
Alors que le programme de l’Iran est officiellement sous le contrôle de l’Agence Iranienne pour l’Energie Atomique, l’AIEA a constaté que de nombreuses activités secrètes liées au nucléaire étaient en fait conduites sous l’égide du Ministère de la Défense. [3]

3. Le programme d’enrichissement de l’Iran n’a pas de logique économique
Les réserves de gaz de l’Iran permettraient au pays de subvenir à ses besoins en électricité pendant plusieurs décennies. L’investissement de Téhéran dans un programme d’enrichissement coûteux, prétendument destiné à fabriquer du combustible pour les centrales nucléaires, n’a pas de justification économique.
Le site de Natanz a une capacité limitée. Une fois terminé, il ne pourrait alimenter qu’un seul réacteur pendant un an. Aucun pays n’a jamais exploité des installations d’enrichissement pour une seule centrale: il est bien moins cher, dans ce cas, d’acheter le combustible sur le marché.

4. Le programme d’enrichissement de l’Iran n’est pas cohérent avec ses buts déclarés
L’Iran prétend avoir besoin d’uranium enrichi à 3% pour ses centrales nucléaires. Mais la Russie fournit le combustible pour Bushehr et il serait impossible pour l’Iran de l’exploiter avec son propre combustible. Si le projet était d’alimenter un hypothétique réacteur à venir, il n’y avait aucune raison pour que Téhéran commence l’enrichissement dès 2006.
L’Iran est à présent en train de construire une deuxième centrale d’enrichissement à Fordoo, mais cette installation est beaucoup plus petite que celle de Natanz. Sa taille convient à une utilisation militaire.
En 2010, l’Iran a commencé à produire de l’uranium enrichi à 20%, prétendument pour ré-alimenter le réacteur de recherche de Téhéran. Cependant, rien ne prouve que l’Iran ait le savoir-faire nécessaire pour produire les barres de combustible pour ce réacteur particulier.

5. L’Iran possède un document qui explique comment effectuer le moulage de l’uranium en demi-sphères
L’AIEA a pu constater que l’Iran possède un document qui explique comment effectuer le moulage de l’uranium en demi-sphères, c’est–à-dire comment fabriquer un cœur de bombe atomique. [4] Ce document a été fourni par le réseau Khan.

6. L’Iran construit un réacteur à l’eau lourde sans but scientifique précis
L’Iran construit un nouveau réacteur de recherche à Arak. Ses caractéristiques—un réacteur de 40 mw qui utilise de l’uranium naturel et de l’eau lourde—pourraient en faire une structure adaptée à la production de plutonium que qualité millitaire. En fait, il ressemble étrangement à des réacteurs utilisés par d’autres pays pour produire du plutonium militaire.
Il convient de mentionner, à ce propos, que l’Iran a mené des expériences sur la séparation du plutonium dans des cellules chaudes. [5]

7. L’Iran a mené des expériences et des études en rapport avec l’armement
L’Iran a produit du polonium, qui peut être utilisé pour le déclenchement d’une réaction neutronique en chaîne. [6] Il a également mené des études sur le déclenchement de réactions neutroniques en utilisant le deutérure d’uranium (méthode chinoise). [7]
Des organisations relevant du ministère de la Défense ont étudié et testé les mécanismes d’explosion d’une arme nucléaire (détonation simultanée de puissants explosifs autour d’un cœur sphérique). [8] Téhéran a reconnu avoir fait des tests sur les détonations simultanées tout en prétendant que ceux-ci étaient à but non nucléaire. [9] Cependant, des documents détenus par l’AIEA montrent que les exigences iraniennes ne concordent qu’avec un projet d’armement nucléaire. [10]
On ne sait pas si l’Iran poursuit toujours de telles activités. Les essais ont peut-être été assez concluants pour permettre à Téhéran de construire un dispositif fonctionnel (surtout, si, comme on le redoute, l’Iran a reçu des modèles d’ogives provenant du réseau Khan). En 2009, l’AIEA aurait conclu que «l’Iran a suffisamment d’informations pour être capable de concevoir et produire un dispositif d’implosion fonctionnel.» [11]
L’Iran a également projeté de faire de nouveaux essais nucléaires: il a étudié l’architecture d’un site d’essai (avec pour projet une détonation à 400 mètres de profondeur), et a conçu un équipement spécial pour le déclenchement du tir à distance. [12]

8. L’Iran a fait des essais sur un missile à capacité nucléaire
En 2004, l’Iran a fait des essais sur un missile Shahab 3 avec un corps de rentrée en forme de biberon (tricône), parfaitement adapté à une arme nucléaire. Cet essai a été vu à la télévision.
Ceci conforte la conclusion par l’AIEA au sujet des efforts de Téhéran pour placer une charge sphérique sous la coiffe du Shahab-3. [13]
Le fait que l’Iran ait également fait des essais de simulation d’explosion d’une charge de missile à une altitude de 600 mètres- ce qui n’a de sens que si la charge est nucléaire- ne devrait laisser aucun doute sur les intentions de l’Iran. [14]

9. L’Iran refuse de mettre en place des mesures de transparence
L’Iran refuse de déclarer à l’avance toute nouvelle infrastructure nucléaire qu’il construit ou projette de construire: en 2007, il a suspendu la mise en place du code modifié 3.1, une réglementation de l’AIEA à laquelle il avait souscrit en 2003.
L’Iran refuse également de mettre en place le protocole additionnel de l’AIEA (alors qu’il l’avait signé en 2003), qui est, selon l’Agence, le seul moyen à sa disposition pour vérifier l’absence d’un potentiel détournement de matériel nucléaire. Le refus de l’Iran limite sérieusement la capacité de l’AIEA de découvrir d’éventuelles activités illégales supplémentaires.
Si Téhéran n’avait que des intentions pacifiques et cherchait à prouver sa bonne foi, pourquoi refuserait-elle une transparence accrue?

10. L’Iran rejette des propositions de reprise de négociations
L’Iran a rejeté les propositions de l’AIEA et des membres permanents de l’ONU et l’Allemagne destinées à permettre la reprise des négociations (“Double Temps Mort” en 2007, et ”Gel contre Gel” en 2008). Téhéran n’a pas répondu favorablement aux ouvertures de l’administration Obama. Il a rejeté une proposition de 2009, qui était censée être une mesure de confiance, de transférer la plus grande partie de son stock d’uranium enrichi à 3% dans un pays étranger en échange de barres de combustible à l’uranium enrichi à 20% pour le réacteur de Téhéran. L’Iran ne manifeste aucun intérêt pour aucune sorte de « grand marchandage ».
Si Téhéran n’avait que des intentions pacifiques et cherchait à prouver sa bonne foi, pourquoi refuserait-elle de telles propositions?
                                                *
En somme le programme nucléaire Iranien n’est pas compatible avec son objectif soi-disant civil, mais est en revanche compatible avec un objectif militaire.
Certains affirment que Téhéran ne veut qu’une option nucléaire, et ne cherchera pas à aller au-delà du seuil. Ceci pourrait bien n’être qu’une douce illusion. Il n’y a aucun exemple dans l’histoire de pays qui, en l’absence de changement de régime (par exemple le Brésil dans les années 80), a été si loin et investi autant dans un programme nucléaire, sans franchir le pas. [15]La nomination en février 2011 de Fereydoun Abbassi Davani, l’un des principaux architectes du programme militaire, à la vice-présidence de la République islamique et à la tête de l’AIEA, n’augure rien de bon.
Traduit de l’anglais.

Bruno Tertrais
Source : site http://www.realite-eu.org, 12 septembre 2011

Références :
[1] International Atomic Energy Agency (IAEA), GOV/2011/54, 2 September 2011.
[2] IAEA, GOV/2003/75, 10 November 2003.
[3] IAEA, GOV/2004/11, 24 February 2004; Institute for Science and International Security (ISIS), “Briefing Notes from February 2008 IAEA meeting regarding Iran’s nuclear program”, 11 April 2008
[4] IAEA, GOV/2005/87, 18 November 2005.
[5] IAEA, GOV/2003/75, 10 November 2003.
[6] IAEA, GOV/2004/11, 24 February 2004.
[7] IAEA, GOV/2011/29, 24 May 2011.
[8] IAEA, GOV/2008/15, 26 May 2008; Ibid., GOV/2008/4, 22 February 2008.
[9] IAEA, GOV/2008/15, 26 May 2008.
[10] ISIS, “Briefing notes…”, op. cit.
[11] ISIS, “Excerpts from Internal IAEA Document on Alleged Iranian Nuclear Weaponization”, 2 October 2009.
[12] IAEA, GOV/2008/15, 26 May 2008.
[13] IAEA, GOV/2008/15, 26 May 2008.
[14] ISIS, “Briefing notes…”, op. cit.
[15] La comparaison parfois faite avec le Japon est inappropriée: il n’y a pas de preuve que Tokyo ait une option nucléaire. Le Japon a des raisons économiques et techniques solides à son enrichissement d’uranium. Toutes ses installations sont totalement accessibles à l’AIEA. L’Agence n’a jamais trouvé, ni jamais été informée, d’aucune activité nucléaire suspecte ou illégale au Japon.

Nota de Jean Corcos :
On reparle - enfin ! - dans la presse française de la course de l'Iran vers la bombe ; et cela à l'occasion d'un prochain rapport de l'AIEA qui serait, nous dit-on, beaucoup plus clair sur le sujet. Cet article de Bruno Tertrais, maître de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique, est donc tout à fait le bienvenue pour mettre les choses au point. Bruno Tertrais, rappelons-le, a été mon invité en janvier 2010. On pourra découvrir ou ré écouter mon interview en allant sur ce lien.