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10 février 2011

El Hamma : le mausolée de Rebbi Yossef El Maarabi et sa synagogue ont bien été vandalisés - les preuves que j'ai pu voir sur des photos

Vue du mausolée avant la profanation

L'entrée du mur d'enceinte, également avant la profanation


L'annonce, la semaine dernière, de la  profanation d'un lieu saint du Judaïsme tunisien - le mausolée de Rebbi Yossef El Maarabi, célèbre Rabbin du 16ème siècle, et lieu traditionnel de pèlerinage - a causé une légitime émotion, et pas seulement chez les Juifs originaires de Tunisie : très vite, certains ont pu y voir confirmées  leurs craintes ; l'épisode révolutionnaire vécu dans le pays allait charrier, avec son lot de troubles et de violences, des débordements antisémites risquant de disperser la minuscule communauté juive subsistant dans le pays (on l'évalue à 1700 âmes, dont un millier vivant dans l'île de Djerba).

Je ne reviendrai  pas trop longuement sur l'historique de la découverte de ce triste évènement, et sur les polémiques qui ont suivi. Donnons quelques témoignages personnels : j'ai appris l'affaire en entendant mardi 1er février sur nos confrères de Radio J, Guy Azria - lui-même originaire de Gabès à une trentaine de kilomètres de El Hamma, bourgade perdue en plein désert et où se situe le mausolée. Guy Azria, président de l'Association "Sayed Rebbi Yossef El Maarabi en France", organise des pèlerinages à la Ghriba de Djerba et sur ce mausolée. Attaché de toutes ses fibres à son pays natal, il y est respecté et connu, ce qui lui a permis d'aller rapidement sur les lieux et, surtout, d'obtenir à la fois des témoignages et des documents indiscutables : une série de photos numériques du lieu saccagé. Il a eu l'extrême gentillesse de me recevoir pendant une bonne heure et de me présenter ces photos, et je me suis senti un devoir de vous en parler sur ce modeste blog. Je le ferai d'une manière tout à fait objective, peut-être froide mais il est nécessaire de rester factuel, et sans trop entrer dans les polémiques ... car hélas, il y a eu des versions contradictoires de l'évènement ; un communiqué de l'A.F.P annonçant la destruction d'une synagogue à Gabès, puis un démenti ; et il y a eu tout de suite deux discours qui se sont affrontés : ceux qui niaient les faits, en disant soit qu'il n'y avait pas de synagogue à l'emplacement du mausolée, soit qu'il ne s'y était rien passé ; et ceux qui ont affirmé immédiatement qu'il s'agissait d'un acte à caractère antisémite. Rappelons donc que dès le mercredi 2 février, le site "sayedmarabi.com" mettait en ligne ce communiqué en lien, publié par Ghozlane Azria, lui-même père de Guy et "président" d'une communauté juive de Gabès hélas disparue (il fait lui-même des allers-retours entre sa ville et Paris). Ce communiqué dit l'essentiel : la date des saccages le 13 janvier ; ses circonstances liées à des émeutes locales en pleine insurrection populaire ; la date de sa découverte par le gardien tunisien des lieux qui n'a pu s'y rendre que le lundi 31 janvier. Il est d'ailleurs à noter qu'il a été repris sur le site du CRIF (lire ici).

Autre témoignage personnel que je voudrais donner ici, les échanges avec des amis tunisiens sur FaceBook, qui loin de ce lieu perdu m'ont tous attesté de l'absence de destruction de synagogue à El Hamma  - ce qui était vrai dans la mesure où l'ancienne synagogue de la ville est désaffectée comme la plupart des lieux juifs du pays : se reporter, pour ceux qui ont acquis cet album fabuleux, au livre "Synagogues de Tunisie" de Dominique Jarassé et Colette Bismuth Jarassé : des photos du bâtiment figurent page 176. D'autres amis tunisiens m'ont renvoyé au communiqué du président de la communauté juive du pays : "Il n'y a pas de synagogue à El Hamma. Il y a un mausolée, avec la tombe d'un grand rabbin, qui est un lieu de pèlerinage. Lundi soir, plusieurs bâtiments de la région ont été la cible de saccages et la guérite du gardien du mausolée a été vandalisée et quelques chaises emportées". Honte des uns, peur des autres, il y a eu comme une complicité du silence pour des raisons trop évidentes pour être commentées. A noter cependant - même si l'information n'a guère été reprise dans les médias - que le Ministre de l'intérieur a apporté, dès le mardi 1er février en soirée sur la chaîne "Hannibal TV", un démenti au démenti de l'AFP !

Contrairement à ceux qui ont parlé de l'affaire sans y avoir mis les pieds, Guy Azria lui y est allé le jeudi 3 février, accompagné de deux photographes tunisiens et sous escorte de l'armée - armée qui, de plus, garde depuis l'endroit. Dans l'époque très trouble que vivent plusieurs régions de l'intérieur, il apparait en effet dangereux d'aller seul sur les lieux. Autre information étonnante, les autorités ont interdit à deux équipes de télévision française d'aller sur place, mon interlocuteur ayant eu seul l'autorisation de ramener des preuves de ce qui s'était passé. Lui-même ne souhaite pas - justement pour ne pas exciter les passions -, qu'une ou plusieurs de ces photos circulent sur Internet : on pourrait imaginer, justement, que c'est parce qu'elles prouvent l'intention antisémite. Or ma conclusion serait plutôt qu'elle démontrent l'inverse - et voici pourquoi.

Revenons d'abord sur le mausolée dans son état d'origine, et dont il est très difficile de trouver des illustrations sur le Web : les deux photos que je publie proviennent du site Loubavitch Chabad.org. La partie centrale où se trouve la tombe du Saint Rebbi est entourée d'une superstructure en fer forgé de couleur bleue ciel, comprenant une sculpture métallique de "kandil" (chandelier) à son sommet : elle subsiste après les saccages. Toujours présente, aussi, la petite plate-forme au dessus de la tombe, à laquelle on accède par des escaliers. Par contre, et des photos l'attestent, on a déplacé des cailloux situés au dessus du tombeau lui-même, sous le promontoire : quel intérêt ? Pas le vol, ou alors une rage destructrice difficile à expliquer.
Mais le mausolée comprenait aussi, depuis 1987, un petit complexe de bâtiments allant bien au delà d'une "guérite de gardien" ... Guy Azria m'a expliqué que depuis cette date, et grâce à des dons importants de Juifs originaires de Tunisie, le lieu était devenu un petit complexe pouvant accueillir les pèlerinages : d'abord des clôtures en dur (l'une a été payée par l'état tunisien) ; une entrée comprenant des portes métalliques, surmontée d'une inscription hébraïque en caractères de métal également ; un poste de police, abritant deux agents normalement présents 24 heures sur 24 ; mais surtout une véritable synagogue, où se déroulait des offices lors des visites. Cette synagogue, constituée d'un petit bâtiment blanc peint à la chaux et aux fenêtres grillagées de bleu - comme toutes les maisons de la région - apparait d'ailleurs dans l'album "les Synagogues de Tunisie", page 177 : on y voit notamment la "Téba" - promontoire où on lit la Torah -  encadrée par une balustrade en fer forgé offerte par des Juifs de Constantine en 1955.

Que reste-t-il de tout cela d'après les photos ? La synagogue a été saccagée, son entrée noircie témoigne d'un incendie. Contrairement à la photo qui circule sur le Web, on n'a pas retrouvé de "Sefer Torah" endommagé, mais uniquement des cendres et des débris de quelques centimètres carrés. La balustrade n'a pas été descellée, mais l'estrade en bois a brûlé ; toutes les chaises et les tables ont été volées, preuve de la crapulerie des auteurs plus que de leur racisme : en effet, ce lieu si clairement juif n'a pas été profané par des inscriptions. Les grillages des fenêtres ont été arrachés, ainsi que la porte.
Mais ceux qui ont saccagé la synagogue se sont aussi acharnés sur tout le reste : le petit poste de police a été entièrement détruit ... à la masse ! On a l'impression, en voyant le plafond effondré et les murs abattus, que l'on en voulait d'avantage à ce symbole de l'oppression du pouvoir qu'à la synagogue elle-même, dont les murs sont toujours debout. Tout a été descellé et enlevé, fenêtres, lavabos, tuyaux en cuivre, même les sanitaires : volonté de tout détruire, doublée de crapulerie ? Rappelons que tout a été saccagé ce jour là à El Hamma, école, administration, poste, commissariat ... on peut donc imaginer que ce sont "les mêmes" qui se sont attaqués au mausolée juif - même si le lieu était connu dans la région et si les scrupules n'ont guère retenu les vandales dans la synagogue ! Détruites, aussi les portes de l'entrée (photo du bas) ...et emportées, les inscriptions hébraïques en fer forgé. Le mobile ? Le vol et la récupération du moindre objet de valeur - une preuve accablante de la misère, aussi, dans ces régions reculées de la Tunisie !

J'ai interrogé Guy Azria à propos du seul "tag" photographié sur la clôture : il y a été peint en arabe "danger de mort", ce qui à la fois absurde et inquiétant ; mais qui n'a rien de directement antisémite. On n'a pas retrouvé, par exemple, d'inscriptions évoquant les Palestiniens ou Israël, prétextes classiques lors des profanations. Persuadé que cet acte de vandalisme ne reflète pas les sentiments profonds du peuple tunisien, sensible aux marques de sympathie reçues de toute part, il espère que les pèlerinages pourront reprendre dès que la situation se sera stabilisée dans le pays.

Une plainte a été déposé auprès du procureur du gouvernorat de Gabès par l'association de "Sayed Rebbi Yossef el Maarabi", et l'enquête déterminera, espérons-le un jour, les motivations exactes de ceux qui ont fait cette profanation. Qui peut sonder les âmes perverties de ceux qui ont commis ce forfait ? De l'examen de ces photos et de ma conversation avec ce témoin principal, je ne peux en tirer - avec bien sûr la possibilité de me tromper - qu'une conviction personnelle : rien ne prouve que l'antisémitisme ait été le moteur de leurs actes.

Jean Corcos