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21 mars 2011

Dieudonné à Tunis : nouveau délirium antisémite et inquiétante évolution du pays


Dieudonné était reçu la semaine dernière à Tunis. Voici comment le site tunisien "Leaders" introduit la présentation de son spectacle, le 16 mars : "Le célèbre et très controversé humoriste franco-camerounais Dieudonné a présenté, mercredi soir au grand Tunis Hôtel-Menzah VII, un one man show intitulé ''Mahmoud'', à l'invitation de quatre jeunes du lycée Pierre MendèsFrance de Mutuelleville. Après une longue attente, Dieudonné est monté sur scène, dans une salle comble. Il a commencé par rendre hommage à la révolution tunisienne, ''vous êtes la fierté du continent africain'' a-t-il lancé aux 1200 spectateurs, dont près de 400 lycéens. ''Vous faites rêver en France et partout dans le monde '' a-t-il ajouté, affirmant, par ailleurs, qu'il devait se produire en Tunisie le 27 juin dernier, mais que son spectacle a été annulé."

Le reste de l'article, que l'on pourra découvrir sur ce lien, reste dans une tonalité neutre mais qui rend un peu mal à l'aise, connaissant le niveau de culture particulièrement élevé de la jeunesse tunisienne - surtout les élèves du lycée Pierre Mendès-France qui relève de la mission culturelle française - , une jeunesse qui ne peut pas ne pas savoir que Dieudonné a été condamné à plusieurs reprises pour injures à caractère raciste : il est pour le moins elliptique d'écrire "qu'il a évoqué, à sa manière, la question des '' crimes contre l'humanité'', celle qui lui a valu des ennuis avec la justice française". Pourquoi des guillemets pour ces crimes, l'auteur de l'article aurait-il des doutes ? Pourquoi ne pas écrire noir sur blanc qu'il s'est toujours agi de propos antisémites ? Ironie du calendrier, alors que cet article était publié le jeudi 17, le même jour la cour d'Appel de Paris devait confirmer la condamnation dont avait écopé en première instance Dieudonné pour injures à caractère raciste. Rappelons que cette condamnation concernait un spectacle donné en décembre 2008 au Zénith, au cours duquel il avait fait remettre le "prix de l'infréquentabilité" au négationniste Robert Faurisson par un homme en tenue de déporté ;  et qu'il devra  payer une amende de 10 000 euros - 500 euros à chacune des associations qui l'avait assigné -, et qu'il devra prendre à ses frais l'insertion du jugement dans deux journaux.

Mais il y a bien pire que cet article dans les médias tunisiens : car Dieudonné a eu les honneurs d'une chaîne de radio tunisienne, "Mosaïque Fm". Cette interview, qui a été filmée et enregistrée sur Youtube, est visible ci-dessous Il est indispensable de l'entendre jusqu'au bout, car la violence de ses propos, d'une part, et la complaisance des journalistes qui l'interrogent, d'autre part, sont plus qu'inquiétants.
D'entrée de jeu, le pseudo comique rappelle son obsession primaire : "mon spectacle est critique envers les Sionistes". S'il évoque ses voyages en Iran, c'est pour dire que les gens "y sont courageux", "qu'ils ont toujours les Etats-Unis et Israël sur le dos" ... les opposants massacrés par le régime de Téhéran penseraient qu'il s'agit d'humour de mauvais goût. Notons aussi son inculture crasse, qui lui fait dater la révolution islamique de 1975, ou qui lui fait dire plus loin que "Ben Ali a tenu 30 ans", alors qu'il avait pris le pouvoir en 1987 !
D'emblée Dieudonné "récupère" la révolution tunisienne, en disant que ce sera un exemple pour le Monde. Un Monde que, bien entendu, il faut débarrasser du "Sionisme" : et très vite, ce sont des accents quasiment nazis que l'on va entendre, puisqu'il traitera cet ennemi fantasmagorique de "cancer", "qui pollue l'atmosphère de la France et du Monde". "Le sionisme, c'est l'argent, c'est le fric pour le fric, c'est Wall Street". Se lâchant à la fin, il attaque lourdement Dominique Strauss-Kahn, qui contrairement à Jean-Marie Le Pen - cité par les intervieweurs - "est le vrai raciste". DSK traité aussi de "candidat israélien", "candidat de Wall Street" : peut-on être plus clair ?

Mais le malaise que l'on ressent à entendre cette interview est peut-être pire encore à l'écoute des journalistes : que Dieudonné fasse preuve d'une haine imbécile envers tous ceux qu'il n'aime pas et qu'il traite de "Sionistes", ce n'est pas nouveau ; qu'il réécrive l'Histoire en expliquant que Ben Ali n'aurait tenu si longtemps que grâce au soutien des "Sionistes", c'est de la dialectique de caniveau que l'on s'abaisserait à contredire en lui opposant, par exemple, les trente ans de règne de Saddam Hussein ou les quarante et un ans de dictature sanguinaire de Kadhafi - des "Sionistes", eux-aussi ? Non, ce qui choque, c'est le fait que les Tunisiens qui l'interrogent prennent comme allant de soit que les Israéliens seraient des racistes de la pire espèce. Ou qu'il s'agisse "d'une population qui se croit supérieure à toute les autres, et qui veut dominer le monde entier" ...  

Dieudonné a tenu dans le passé des propos antisémites transparents sous couvert de son soit disant "antisionisme", mais là il aura parlé en quasi-hitlérien, faisant revivre le "complot juif mondial" et la "lutte des races" de l'époque nazie. Qu'il l'ait fait tranquillement au micro d'une radio tunisienne éclaire de façon tout à fait inquiétante l'évolution de ce pays ; et je ne peux que le constater avec amertume, ayant salué avec beaucoup d'espoir la "révolution de jasmin" dans ce pays qui m'est tellement cher.

Jean Corcos