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30 septembre 2006

Chirac / Iran : fin de la fermeté ?

Le Président Chirac accueillant l'ex-Président iranien
Khatami, Paris le 5 avril 2005 (photo Reuters)

Introduction :
Le Président de la République vient, peut-être, de rendre impossible toute action pacifique pour freiner la course à l’arme nucléaire du régime des Mollahs ; et ses déclarations, à l’occasion de sa venue à New York pour l’Assemblée Générale des Nations Unies, sont en tout cas très inquiétantes ! Le site « iran-resist », en lien permanent, consacre un historique très bien documenté, aux différents virages d’une diplomatie qui, curieusement, n’est jamais analysée dans nos J.T de 20 heures. Un expert international d’origine iranienne, Amir Taheri, vient par ailleurs, de consacrer un article à ce sujet dans les colonnes du journal israélien « Jerusalem Post ». Albert Soued, orientaliste réputé éditeur du site « nuitdorient.com » et qui a été mon invité l’année dernière, a traduit cette publication ; je le remercie vivement pour l’autorisation qu’il me donne de reprendre ici la traduction de l’article.
J.C

N'ayant pas réussi à arrêter la guerre en Irak, le président Français Jacques Chirac est déterminé à empêcher une issue similaire en Iran. "Il n'y aura pas de guerre contre l'Iran" c'est ce qu'aurait dit Chirac à un émissaire de la République islamique lors d'une visite à Paris la semaine dernière. "La France s'opposera résolument à autre chose que des négociations"
L'histoire peut ne pas se répéter, mais il est difficile d'oublier les promesses similaires de Chirac faites à Saddam Hussein en mars 2003, quelques semaines avant que la coalition menée par les États-Unis n'envahisse l'Irak.
Il est maintenant clair que les assurances données par Chirac ont joué un rôle crucial, persuadant Saddam Hussein de ne pas offrir les concessions qui auraient pu éviter une guerre et le changement de régime. Selon l'ex-vice président Tareq Aziz, s'exprimant depuis sa cellule devant des enquêteurs Américains et Irakiens, Saddam était convaincu que les Français, et dans une moindre mesure, les Russes allaient sauver son régime à la dernière minute.
Quelques heures avant qu'il ne s'envole pour New York pour assister à l'Assemblée Générale de l'Onu, Chirac a laissé tomber la seule condition que le groupe des 6 (membres permanents du Conseil de Sécurité plus l'Allemagne) avait exigé de l'Iran comme prélude à des négociations. Chirac a dit "On ne doit pas demander à l'Irak d'arrêter l'enrichissement d'uranium comme condition préalable, et il est insensé de traîner la République Islamique (pour des sanctions) devant le Conseil de Sécurité"

Cela signifie que l'administration Bush a perdu la seule concession obtenue des alliés Européens comme incitation pour qu'elle prenne part aux pourparlers avec l'Iran. Grâce à Chirac, le président Mahmoud Ahmadinejad apparaît comme ayant gagné une victoire diplomatique contre le président G W Bush.
Pourtant l'Iran continue d'appliquer une stratégie pour neutraliser toute sanction qui pourrait lui être imposée. Deux facettes à cette stratégie:
- les avoirs iraniens sont replacés en des lieux où ils ne seront ni saisis ni gelés. Depuis quelques mois des milliards $ ont été transférés des banques occidentales vers des institutions financières moins enclines à obéir aux injonctions de Washington, dans le Golfe, par exemple.
- les produits à double usage (pacifique et en vue d'une bombe nucléaire) qui pourraient être interdits aux importateurs iraniens ont été massivement stockés. Téhéran a contacté les hommes d'affaires Iraniens en Occident pour les aider financièrement afin qu'ils s'approvisionnent rapidement en marchandises susceptibles de subir des sanctions.
Ces achats massifs ont créé un embouteillage dans les principaux ports Iraniens, y compris Bandar Abbas, qui ont vu les temps d'attente doubler, alors que des queues continues de camions arrivaient de Turquie. Dans la plupart des cas, les opérations d'importation sont exécutées "militairement" par la branche commerciale des Gardes Révolutionnaires.
- une forte action diplomatique a été menée par l'Iran pour contrer d'éventuelles sanctions. 116 des 192 membres de l'Onu soutiendraient la République Islamique dans ses revendications nucléaires. Même si le Conseil de Sécurité finit par imposer des sanctions à Téhéran, il n'est pas du tout certain que ses décisions seront respectées par une majorité des membres de l'Onu. Par ailleurs l'idée de geler les avoirs d'officiels Iraniens est vaine, ceux-ci ayant déjà pris les mesures de précaution adéquates.

Paradoxalement cependant, le succès de Téhéran dans ses efforts pour neutraliser d'éventuelles sanctions pourrait hâter leur imposition par le Conseil de Sécurité. La raison en est que les amis de l'Iran qui y siègent, la Russie et la Chine, pourraient décider qu'il est inutile de se quereller avec Washington sur des sanctions, puisque celles-ci n'auraient que peu d'effets sur l'Iran. La loi des conséquences non désirées pourrait aussi fonctionner d'une autre manière. Si les sanctions s'avèrent inutiles, les Etats-Unis et leurs fidèles alliés pourraient décider que la seule possibilité d'action pour convaincre l'Iran est militaire. En d'autres termes le succès de Téhéran pour neutraliser les sanctions pourrait rendre une opération militaire inévitable.
Selon des sources à Téhéran, Ahmadinejad aurait déjà pris en compte cette éventualité.
"Une opération militaire limitée conviendrait à Ahmadinejad. Les Américains se montreraient, enverraient quelques missiles, frapperaient quelques sites et partiraient. Le président Iranien montrerait à la télévision quelques enfants et vieillards tués par les Américains, déclarerait une victoire et poursuivrait ses plans avec une plus grande vigueur", voilà ce que dit un ancien ministre Iranien.
Ahmadinejad a montré un visage très confiant lors de son apparition médiatisée au sommet des non-alignés à la Havane et lors de son discours enflammé à la tribune de l'Onu à New York. Cet homme pense qu'il a gagné la première manche dans sa bataille contre le grand Satan américain. Qualifiant ses prédécesseurs d'hommes faibles cédant à la pression américaine, Ahmadinejad compte sur son image musclée pour aider ses partisans à gagner de cruciales élections pour les conseils locaux du gouvernement et pour l'Assemblée des Experts qui nommera le prochain "Guide Suprême" à l'automne.

Quoique attendu, le soudain changement de position de la France a laissé en lambeaux l'"alliance" formée difficilement par la Secrétaire d’État Condoleeza Rice. N'ayant pas réussi à définir une politique Iranienne durant 5 ans, l'administration Bush était contente de cacher cette lacune, en ralliant l'option européenne. La décision de Chirac d'ôter cette feuille de figuier ramène le débat à Washington, pour savoir quoi faire de ce régime messianique décidé à redessiner le Moyen Orient selon sa propre vision et défiant la doctrine Bush.
En se dégageant des pressions extérieures et en projetant une image de vainqueur invincible, Ahmadinejad a renforcé sa position dans son pays. Mais là aussi la loi des conséquences non désirées peut s'appliquer: si les Etats-Unis décidaient qu'il était temps de ramener cet homme à ses justes dimensions et poussaient la carte nucléaire, ils aideraient cet extrémiste à consolider son pouvoir dans son pays. Et alors cet homme ne pourrait plus accepter un quelconque compromis, nécessaire pour éviter un conflit.

Amir Taheri
Paru dans le Jerusalem Post du 20 septembre 2006
Traduit par Albert Soued, www.chez.com/soued/conf.htm pour www.nuitdorient.com