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04 juin 2006

Ayaan Hirsi Ali, l'icône déchue

Ayaan Hrisi Ali, la "Voltaire noire"

Introduction :
La brillante député du parti libéral néerlandais d’origine somalienne vient d’être déchue de sa nationalité et contrainte à un nouvel exil, celui-là vers les États-Unis. Menacée de mort, surveillée jour et nuit depuis l’assassinat en novembre 2004 de Théo Van Gogh avec lequel elle avait réalisé le film « Submission » - violente critique de la condition des femmes musulmanes - celle que les Hollandais surnommaient la « Voltaire noire » est lâchée par un gouvernement de droite ; gouvernement lui-même pris en tenailles entre le lobby islamiste et la montée xénophobe dans le pays. Jean-Pierre Stroobants vient de publier dans le journal « Le Monde » en date du 31 mai une analyse très fine du contexte de cette expulsion - et j’en reproduis un large extrait, une fois n’est pas coutume pour ce journal qui (hélas) garde plutôt une ligne « politiquement correcte » pour ce qui concerne l’immigration musulmane.
Pour enrichir le dossier, vous trouverez en liens plusieurs documents indispensables pour mieux connaître Ayaan Hirsi Ali. D’abord, son interview dans « Courrier International » du 12 mai 2005 titré "Il faut que les politiques se saisissent du Coran". Ensuite, le débat à propos de son expulsion dans l’émission de Daniel Schneidermann « Arrêt sur Images » du 28 mai dernier, intitulé « Pays-Bas : l’icône déchue » (cliquer ici) ; à ce débat participaient Olivier Roy, Caroline Fourest et René Moerland, correspondant à Paris du quotidien néerlandais « NRC Handelsblad »; c'est un peu long mais passionnant, car on y voit une Caroline Fourest rayonnante, alliant la rigueur dans l'expression et la passion dans les convictions, aussi brillante donc à l'oral qu'à l'écrit (lire sur le blog son article, publié le 11 mai) - et enfonçant par K.O un Olivier Roy, empêtré dans ses habits d'avocat tordu d'un "islam mal aimé". Enfin et pour compléter le tableau, il faut aussi bien avoir à l’esprit la crise terrible que vivent les Hollandais depuis l’affaire Van Gogh : il y a aujourd’hui plus d’émigrants que d’immigrants, comme le révèle un article publié sur l’excellent blog de Ludovic Monnerat, officier suisse dont les analyses géostratégiques font autorité (lire l'article).

J.C

Ayaan Hirsi Ali, un choc européen, par Jean-Pierre Stroobants« Un leader de la communauté musulmane des Pays-Bas a déclaré, lorsque le départ de la députée Ayaan Hirsi Ali pour Washington a été confirmé, le 15 mai, que cet exil allait permettre d'en revenir à un fonctionnement "harmonieux" de la société néerlandaise. Ce cri du coeur devrait toutefois rester ce qu'il est : un voeu pieux.

Le départ de l'élue libérale d'origine somalienne, privée - temporairement ? - de sa nationalité pour avoir menti sur son nom, sa date de naissance et le parcours qui l'a menée au pays des polders, ne résoudra rien du malaise néerlandais. Il amplifiera, au contraire, les doutes d'une société qui, en l'espace de cinq ans, a vécu, avec de nombreux dommages à la clé, la montée d'un populisme radical, deux assassinats politiques et l'irruption d'un terrorisme islamiste dont les acteurs étaient des jeunes vivant aux Pays-Bas.

L'affaire Hirsi Ali n'est pas banale et dépasse le petit jeu du mensonge et de la vérité auquel se livrent de nombreux candidats réfugiés. "95 % d'entre eux exagèrent les risques qu'ils encourent", a expliqué l'écrivaine franco-iranienne Chahdortt Djavann, qui a obtenu l'asile à Paris. Ayaan Hirsi Ali a livré quelques inexactitudes il y a quatorze ans, mais il est avéré qu'elle les a progressivement dévoilées et justifiées, notamment auprès des dirigeants du VVD, le parti populaire pour la liberté et la démocratie. Une seule preuve : son adresse personnelle de courriel à la deuxième Chambre de La Haye reprenait depuis longtemps le nom de "Magan", celui de son père, le patronyme qu'on lui reproche d'avoir dissimulé. Elle affirme, documents à l'appui, qu'elle y était contrainte - déjà - pour des raisons de sécurité, ayant fui un mariage forcé au Canada.

La question du retrait, violent, de son passeport à une jeune Africaine qui, quoi qu'elle ait fait antérieurement - visiblement rien de bien grave -, a développé ensuite tous les traits, les talents et les qualités d'une personne pouvant être définie comme "intégrée" doit poser énormément de questions aux Néerlandais et à d'autres.
Si même cette victime de l'excision, si même cette élue, cette intellectuelle diplômée de l'université de Leyde, oratrice brillante et courageuse, n'entre pas dans la (nouvelle) catégorie dite des "immigrés désirés", qui sera, demain, susceptible d'en faire partie ? Qui bénéficiera, en outre, de la part d'humanité que, nulle part en Europe, le "respect des règles" ne peut négliger, sous peine d'abaisser le niveau commun de civilisation ?

L'affaire est invraisemblable et ne peut s'expliquer seulement par la volonté de la ministre de l'intégration, l'obstinée Rita Verdonk, d'appliquer à la lettre des règlements. Ou par son souci, très politiquement correct, de ne pas faire d'exceptions alors qu'elle venait, c'est vrai, de faire expulser une jeune Kosovare à quinze jours des examens scolaires finaux que cette jeune fille sans histoires devait présenter (...)

Il y a tout cela, mais plus encore dans ce dossier. Des éléments fondamentaux pour l'avenir. Et notamment cette sourde volonté d'une majorité des dirigeants néerlandais de ne plus tolérer les mises en garde d'Ayaan Hirsi Ali, de tourner la page d'une époque sombre, d'en revenir, si possible, aux Pays-Bas pacifiques et consensuels d'avant l'ère Fortuyn. Etat social "modèle", démocratie aboutie et autosatisfaite, le pays a notamment découvert, depuis 2001, qu'il avait tardé à aborder les questions cruciales de l'immigration, de l'intégration, du multiculturalisme et de la place de l'islam.

Si Ayaan Hirsi Ali est devenue une figure emblématique, c'est parce qu'elle évoquait à haute voix tous ces thèmes et engageait une lutte très concrète contre l'excision, l'oppression des femmes musulmanes dans leur communauté ou le rôle des écoles islamiques, sur lesquelles l'Etat n'exerce aucun contrôle véritable. Au-delà, elle posait la question de la prétendue tolérance néerlandaise et se demandait si cette étiquette ne cachait pas une forme de laxisme, voire de lâcheté, et une acceptation d'un dangereux développement séparé des communautés.
En invoquant les Lumières, en interrogeant ses concitoyens sur la compatibilité entre certains préceptes de l'islam et une démocratie moderne, la députée libérale a fini par susciter la méfiance dans son camp. La gauche travailliste, elle, l'a instrumentalisée et n'a pris sa défense que lorsqu'il s'est agi d'attaquer Mme Verdonk.
Ayaan Hirsi Ali peut se reprocher d'avoir mésestimé la capacité de résistance de sa société d'accueil. Celle-ci vient de lui répondre de manière symbolique qu'en fait elle n'a jamais existé. Ni au sein de cette société ni dans son Parlement. Son message, lui, va pourtant perdurer. »


Jean-Pierre Stroobants