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09 février 2006

A propos du courage des Musulmans modérés : une conférence d’Albert Soued à Tel Aviv

Introduction :
Albert Soued, juif d’origine égyptienne qui parle couramment l’arabe, est un orientaliste de qualité. J’ai plusieurs fois évoqué dans le blog son site « nuit d’orient ». J’ai eu le plaisir de l’avoir pour invité le 9 octobre dernier (voir article, ici).
Il a donné une conférence le 20 novembre dernier devant la loge « Yovel Hamedina » du B'nai Brith à Tel Aviv, sur le thème « y a-t-il des Musulmans modérés ? ». Avec son aimable autorisation, j’en reproduis un extrait. On en trouvera l'intégralité sur le site (voir texte complet). J'ai trouvé ses explications tout à fait d'actualité, à l'heure où seuls les fanatiques s'expriment - et avec quelle violence ! - dans la rue, en Europe ou ailleurs, à propos de l'affaire des caricatures de Mahomet. 

J.C

Les Musulmans modérés en Occident

Des modérés existent bien sûr, des intellectuels, des journalistes, des religieux qui parviennent à s'exprimer, mais aussi difficilement que dans leur pays d'origine. Pourquoi ?

- D'abord, il est difficile pour les modérés de se battre contre des rouleaux compresseurs financés par les pétrodollars, que sont les mosquées salafi et les sermons enflammés des imams formés au wahabisme, les madrassas ou écoles privées coraniques qui distillent la haine de l'autre, les médias notamment la TV par satellite Al Jazira et d'autres
- Ensuite, il n'est pas facile pour les modérés d'aller à contre-courant d'une mode ou d'une pensée dominante, dite "islamiquement correcte". La violence fascine; la terreur fait peur, mais elle magnifie son auteur; l'attentat - suicide est excusé ou justifié, comme moyen pour parvenir à ses fins. De plus, l'idée que les extrémistes sont les victimes du capitalisme, les victimes des dictatures arabes ou musulmanes, ou d'Israël; cette idée où on inverse les rôles bourreau - victime, est très répandue en Occident. Elle est véhiculée et justifiée par de nombreux médias occidentaux et même par des hommes politiques et des personnes influentes.
C'est pourquoi, les Musulmans modérés sont les premières victimes de cette attitude occidentale permissive, qui devrait pourtant être impitoyable vis à vis d'une idéologie totalitaire.
Ce n'est pas le maire de Londres Ken Livingstone qui va promouvoir les modérés d'origine pakistanaise, quand il qualifie l'extrémiste Al Qaradawi d'"homme de modération et de tolérance", alors que dans sa rubrique du samedi soir sur Al Jazira, cet imam égyptien lance des diatribes distillant un venin anti-occidental et anti-juif, ou lorsque Tony Blair prend comme conseiller Tareq Ramadan, le petit-fils de Hassan el Banna, créateur du mouvement des Frères Musulmans en Egypte.
Ainsi pour diverses raisons, des groupes influents en Occident sont devenus les alliés objectifs de l'extrémisme radical.
- De plus, les modérés subissent des menaces et des pressions, souvent violentes. Salman Rushdie devait se cacher pendant des années. Combien de modérés Iraniens on été assassinés en France. Les personnes qui prennent des positions en flèche sont obligées d'avoir des gardes du corps. La courageuse Irshad Manji nous a dit qu'elle refusait de prendre des gardes de corps, à ses risques et périls ...
- Enfin, les modérés ne sont pas aussi bien organisés que les radicaux, et souvent, pas organisés du tout, "par apathie craintive et fataliste propre à l'Orient Musulman", comme disait Churchill.

Les Musulmans modérés au Moyen Orient
Comme la liberté d'expression n'existe pas toujours, il est difficile de savoir l'ampleur de la modération, malgré tous les sondages.
Dans la mentalité du Moyen Orient, il faut regarder du côté de la tête et non pas de la base. Comme on l'a vu, c'est le chef qui donne le ton. Il y a ainsi des chefs d'état au Qatar, dans les émirats et en Jordanie qui prônent la tolérance et l'ouverture. Il y a aussi des chefs religieux en Egypte et même en Arabie, quoique rares, dont les fatwas sont modérées et vont dans le sens de l'acceptation de l'autre, de celui qui est différent. Ainsi le Sheikh Mohamed Sayed Tantawi, à la tête de l'Université al Azhar du Caire, a émis une fatwa de conciliation: "L’Islam ne doit pas interdire la normalisation des relations avec d’autres pays, particulièrement avec Israël, aussi longtemps que la normalisation n’affecte pas la religion".
Il faut aussi noter qu'un organisme de grande valeur, qui s'appelle Memri (www.memri.org), traduit en plusieurs langues tous les médias du Moyen Orient arabe. Ce qui nous permet non seulement d'avoir le baromètre de la haine arabe, mais aussi de nous rendre compte de l'existence de journalistes, d'universitaires et d'hommes de valeur musulmans qui ont un esprit libre et ouvert, et qui s'expriment courageusement. Mais sous la pression extrémiste, toute critique est considérée comme une trahison de la « Oumma » de l'Islam. Ainsi, ces esprits libres sont souvent en danger. Sadate a été assassiné par des Frères Musulmans en plein défilé militaire, parce qu'il avait signé un accord de paix avec Israël; l'ambassadeur égyptien à Bagdad, Ihab al Sharif, homme de paix et de dialogue a été capturé récemment alors qu'il allait acheter son journal, sans garde de corps, en toute confiance; puis il a été décapité par les insurgés sunnites d'Al Zarqaoui. Combien de Libanais modérés et anti-syriens ont été assassinés depuis quelques mois ?

Albert Soued