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31 janvier 2006

L'antisémitisme, une "tumeur cancéreuse" islamiste

Un article en exclusivité pour le blog du philosophe et universitaire tunisien Mezri Haddad.

Introduction :
Mezri Haddad est un universitaire tunisien qui fait partie des intellectuels musulmans parfaitement clairs vis à vis de la menace islamiste dans son propre pays, mais aussi pour l'ensemble du Monde arabe et au delà pour l'ensemble des sociétés ! Je l'avais reçu à mon émission le 1er juin 2003, sur le thème "Y a-t-il eu une campagne de désinformation contre la Tunisie" et à propos de son livre "Non delenda Carthago, Carthage ne sera pas détruite" (éditions du Rocher, prix : 22,87 E). Je le recevrai prochainement à propos de sa participation à un ouvrage collectif publié aux Editions Michalon (voir en fin d'article). En attendant, je salue sa venue dans la petite équipe de collaborateurs de toutes confessions qui ont déjà publié sur le blog. Et je publie, en exclusivité, un article où Mezri dénonce l'antisémitisme et le négationnisme du régime iranien, rappelle qu'ils ne sont pas nouveaux et demande de ne surtout pas céder aux sirènes de "l'islamisme modéré".
J.C

De part leur caractère sciemment outrageant, mortifiant et jusqu’au-boutiste, les éructations négationnistes du jeune président iranien ont provoqué stupeur et indignation partout dans le monde, à l’exception bien symptomatique des pays islamiques. Aucun gouvernement n’a estimé sinon moralement juste, du moins politiquement opportun de condamner des propos pourtant tenu à la Mecque, lors du sommet extraordinaire de l’OCI (Organisation de la conférence islamique), devant 54 représentants de ses pays membres. Ce silence assourdissant ne s’explique pas seulement par la crainte de subir quelques attentats, comme à l’époque lumineuse de l’obscurantisme khomeiniste. Il s’explique également par la contrainte de ménager une opinion publique arabe qui, pour avoir été des années durant galvanisée par une casuistique nationaliste et une dogmatique islamiste des plus réactionnaires, a trouvé dans l’antisémitisme le catalyseur parfait de toutes ses blessures narcissiques et de toutes ses frustrations sociales, économiques et politiques.

Il faut reconnaître que quelques versets coraniques, intentionnellement isolés de leur contexte historique, ont davantage contribué à l’ancrage des stéréotypes antisémites dans les mentalités arabo-musulmanes. L’on peut d’ailleurs en dire autant des Evangiles, dont certains passages ont, jadis et naguère, servi à couvrir d’une cire théologique les persécutions antijuives les plus abominables. Il a fallu que l’Eglise opère son propre "aggiornamento" et qu’elle cautionne de nouveaux courants exégétiques, pour priver les extrémistes chrétiens de toute légitimité évangélique. Ceci pour dire que la pétrification des mentalités arabo-musulmanes n’est pas du tout irrémédiable. A condition que les penseurs de l’islam fassent preuve d’audace intellectuelle : faute de pouvoir expurger le Coran de ses scories potentiellement antisémites, ils devraient soumettre ce corpus au crible de la raison herméneutique. Et qu’est-ce que l’herméneutique si ce n’est la démarche historico-critique qui consiste à expliquer le texte par le contexte ?

Si l’indignation, côté occidental, est parfaitement compréhensible et justifiée, la stupeur dénote en revanche une certaine crédulité dans l’appréciation même du régime iranien. Ceux qui ont été surpris par les stigmatisations haineuses de Mahmoud Ahmadinejad sont ceux-là même qui, distinguant le régime des hommes qui l’incarnent et gobant la fable selon laquelle il y a des islamistes « modérés » et des islamistes « extrémistes », ont longtemps cru à une normalisation de la république islamique et à son inéluctable démocratisation. Heureux ceux qui ont cru sans voir disait Jésus !

Fasciné par le pragmatisme islamiste -manifesté notamment lors de la seconde guerre du Golfe -, floué par le petit et très sournois jeu de l’alternance au pouvoir, certains ont même commencé à présenter cette "Mollahrchie" comme un modèle politique parfaitement respectable et applicable au reste du monde musulman dans la perspective messianiste d’un Grand Moyen Orient démocratique. Il est vrai que cette réhabilitation du régime intégriste iranien n’a été possible qu’à la suite de l’irruption, le 11 septembre 2001, d’une nouvelle forme mutante du maximalisme islamiste : Al-Qaida et son macabre cortège de candidats au martyr. De même qu’un intégrisme peut en cacher un autre, un intégrisme peut en ressusciter un autre. Outre l’aggravation d’une fracture déjà latente entre le monde occidental et le monde musulman, le triomphe de Ben Laden, son vrai miracle a consisté à donner, non seulement une apparence civilisée à des théocraties hideuses, mais également un visage humain, voire humaniste à des mouvements néofascistes qui aspirent au pouvoir : le Hamas en Palestine (qui vient d’infliger une défaite historique au Fatah), le Hezbollah au Liban, les Frères musulmans en Egypte (dont 88 député siègent désormais au parlement), et leurs alter ego partout dans le monde arabe.

On a ainsi négligé le structurel au profit du conjoncturel, évacué l’essence doctrinale pour ne considérer que les apparences politiciennes. Amnésiques, on ne voulait plus se souvenir sur quel substrat idéologique reposait cette théocratie chiite que Khomeiny a fondé en 1979 non sans l’aide de quelques démocraties occidentales. On a oublié que l’islamisme, cette idéologie théocratique, fondamentalement totalitaire et clairement antisémite, dont la genèse remonte à 1928 en Egypte, est doctrinalement inaltérable, indépendamment de son identité confessionnelle (sunnite ou chiite) et de la forme politique qu’il peut prendre au début de son implantation comme au cours de sa consolidation. Epousant les tournants géopolitiques les plus inattendus, répondant aux exigences de la realpolitik, l’islamisme peut faire preuve d’un grand pragmatisme dans ses rapports aux puissances occidentales. Il ne renoncera pas pour autant à ses objectifs stratégiques : imposition d’une Charia anachronique à la totalité de ses sujets (politique intérieure), extension hégémonique, prosélytisme international et éradication de « la tumeur sioniste » (politique étrangère). Changements sémantiques dans la continuité idéologique, ainsi se résume le machiavélisme islamiste. C’est le ton politique qui change, jamais le fond idéologique dans lequel se ressourcent et se reconnaissent toutes les mouvances islamistes dans le monde.

C’est parce qu’on a longtemps entretenu l’illusion d’un islamisme fréquentable et « désamianté », et la chimère d’un intégrisme soluble dans la civilisation séculière qu’on a recouru à toutes les ratiocinations possibles et imaginables pour donner un sens aux diatribes foncièrement antisémites du président iranien. Dans cette anatomie de l’anathème, on a fait usage de tous les outils analytiques : tactique, stratégie, géopolitique, psychologie et même théologie. Un simple détour par l’ontologique aurait pourtant suffi à rendre intelligible l’obscurantisme antisémite de cet ex-pasdaran qui, avec l’omnipuissant "hiérocrate" Ali Khamenei, successeur de Khomeiny et guide suprême de la république islamique (qui a approuvé l’antisémitisme d’Ahmadinejad), préside aux destinées d’un peuple iranien à la civilisation multiséculaire. En d’autres termes, il faudrait revenir à la pureté originelle de la doctrine khomeyniste pour comprendre l’antisémitisme congénital de l’actuel président iranien, qui n’est pas une fuite en avant mais une fuite en arrière, un retour aux sources, une réminiscence.

En effet, le 30 août 1979, Khomeiny déclarait à Qom que « Ceux qui exigent la démocratie veulent entraîner le pays à la corruption et à la perdition, ils sont pires que les Juifs. Il faut les pendre. Ce ne sont pas des hommes ...». Dans son libelle, "Principes politiques, philosophiques, sociaux et religieux", il reproduit tous les stéréotypes véhiculés par la rhétorique islamiste : « C’est une honte d’être sous les ordres d’un chef de service juif », ou « Les Juifs, que Dieu les abaisse, ont manipulé les éditions du Coran ... Ces Juifs et leurs souteneurs ont pour dessein de détruire l’Islam et d’établir un gouvernement universel juif ». D’où cet impératif catégorique : « Israël, tumeur cancéreuse (!), doit disparaître et les Juifs doivent être maudits et combattus jusqu’à la fin des temps ». Mais, en attendant, l’ayatollah Khomeiny peut quémander à Israël armes et assistance militaire pour résister à l’invasion irakienne. On devine bien de qui Rafsandjani, Khatami et les autres figures emblématiques de l’«islamisme éclairé » tiennent leur pragmatisme cynique !

Dès l’« élection » d’Ahmadinejad en juin 2005, l’universitaire iranien Mohammed-Reza Djalili, dans un article prémonitoire intitulé Iran : le retour de l’idéologie khomeyniste, a eu raison d’écrire que « La nouvelle donne politique en Iran ... a le mérite de clarifier les choses, de mettre le pouvoir devant ses responsabilités : désormais il ne peut plus évoquer les agissements, souvent imaginaires, des empêcheurs de tourner en rond qu’étaient les pragmatiques et autres réformateurs »(Le Figaro du 20/7/2005). Il convient par conséquent de renoncer à l’angélisme avec lequel certains perçoivent le régime iranien en perpétuant le mythe d’une opposition entre « réformistes » et « conservateurs » qui, pour traduire une nuance politicienne réelle mais bien utilitariste n’implique pas pour autant un antagonisme doctrinal. On ne réforme pas une théocratie, mais on la rejette dans la poubelle de l’histoire d’où elle n’aurait jamais dû surgir.

En Iran, et de façon générale dans le monde musulman, la ligne de démarcation ne s’opère donc pas entre les islamistes « modérés » et les islamistes « extrémistes », mais entre les théocrates et les démocrates, entre les fondamentalistes et les laïcs, entre ceux qui ont réduit le Coran à un nauséabond factum antisémite et ceux qui, pour en avoir saisi l’esprit et relativisé la lettre, savent que le juif, comme le chrétien, sont pour le musulman des frères en monothéisme et en humanité, que le Dieu des musulmans est bien plus tolérant que la divinité des islamistes. Et si, pour étayer cette vérité élémentaire, il faut une sourate, en voici une qui ne souffre d’aucun doute exégétique, puisqu’on la trouve répétée trois fois dans le Coran :
« Ceux qui ont cru et ceux qui se sont judaïsés, et les Nazaréens et les Sabéens, quiconque a cru en Dieu et au Jour dernier et fait oeuvre bonne, pour ceux-là, leur récompense est auprès du Seigneur. Sur eux, nulle crainte ; et point ne seront affligés » (Sourate II, verset 62).
Les démangeaisons génocidaires d’Ahmadinejad n’impliquent donc pas l’islam, ni l’ensemble des musulmans, ni même la majorité des Iraniens.
Mezri Haddad
Philosophe et théologien musulman.

Auteur et coauteur de plusieurs essais dont "L’islam est-il rebelle à la libre critique", éd. Corlet, 2001, et "Pour un islam de paix", éd. Albin Michel, 2001. Dernier ouvrage paru (coauteur), "La République brûle-t-elle ? Essai sur les violences urbaines françaises", éd. Michalon, 2006.