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14 janvier 2006

Alexandre Adler sur Judaiques FM, il y a cinq ans déjà : « La France est particulièrement délirante dans son analyse du Monde arabe »

Introduction :
Ce fut un grand moment de « Rencontre » il y a cinq ans, lors de notre émission du 14 janvier 2001. « L’Intifada des Mosquées » venait de commencer après le rejet des propositions de Paix de Camp David par Arafat, et une première vague d’incidents antisémites avait marqué le mois d’octobre.
Alexandre Adler n’était pas encore catalogué « nouveau réac » par le « Nouvel Obs » et autres institutions décernant des brevets de moralité. Éditorialiste à « Courrier International » et membre du conseil de rédaction du journal « Le Monde », il ne l'avait pas encore quitté pour rejoindre « Le Figaro ». Georges Bush venait d’être élu, c'était quelques mois avant le 11 septembre, la guerre d’Irak n’allait être lancée que deux après, et on n’en avait pas encore fait le « grand méchant loup » de l’imaginaire français ... Cependant, prophétiquement, Adler avait donné à nos auditeurs la clé de lecture de ceux qui font l’opinion en France : un anti-américanisme viscéral, doublé d’un incompréhension complète du monde arabe. Pour être à la fois honnête et complet, de l'eau a aussi coulé depuis 2001 sous les ponts de la Seine, en face du Quai d'Orsay. Après le sommet de la crise en 2003 au moment de l'affrontement avec les États-Unis à l'ONU, une inflexion lente de la politique étrangère a pu être notée, à propos du Liban, de la Syrie ou d'Israël. Le contexte européen et national explique aussi "une diplomatie sur la défensive" comme l'a très bien analysé Nathalie Nougareyde dans un article publié dans ... le journal "Le Monde" !
Retour sur enregistrement, à partir d’une question de mon ami Serge Zerah, qui à l’époque présentait l’émission avec moi.
J.C

Serge Zerah :
Toujours à propos de la démocratie et du conflit israélo palestinien, le fait que s’affrontent deux types de régime n’est pratiquement jamais mis en relief par les médias français. Lorsque cela est évoqué, deux types de théories s’affrontent. D’un côté, il y a ceux qui disent que c’est la faute du pourrissement de ce conflit et que lorsque cela sera terminé, les Arabes établiront des régimes de liberté chez eux. C’est la thèse du dernier livre d’Alain Gresh et de Tariq Ramadan, « l’Islam et l’Europe » aux éditions Actes Sud. D’un autre côté, il y a une école de pensée en Israël située paradoxalement à droite qui dit qu’aucun accord de Paix solide ne peut être sûr s’il est signé avec un régime dictatorial qui n’a pas d’assise populaire. Qu’en pensez-vous ?
Alexandre Adler : 

Je pense d’abord que la théorie française selon laquelle l’absence de démocratie serait due à la durée et à l’ampleur du conflit avec Israël ne tient évidemment pas. D’abord parce que, dans ces conditions, on devrait trouver au moins au Maghreb et en Irak, qui est un peu périphérique par rapport à ce conflit, des potentialités démocratiques, or on sait ce qui l’en est. Quand on voit que les régimes arabes sont des régimes belliqueux, beaucoup plus belliqueux que la moyenne, là encore, des États de la Terre, on constate très vite que l’existence même de ce conflit dit fondamental n’a pas empêché l’Irak de mener « une guerre de 14 » contre l’Iran et d’être une des dictatures les plus sombres de la Terre, n’a pas empêché le Maroc et l’Algérie de s’affronter pour quelques arpents de sable au Sahara pendant près de vingt ans, n’a pas empêché un djihad esclavagiste mené par un régime qui se croit arabe au Soudan contre sa propre population. Bref, la potentialité guerrière de la tradition musulmane la plus pure du Djihad que l’on ne retrouve ni en Iran, ni en Turquie, est là pour nous montrer qu’il y a un problème politique arabe qu’Israël ne suffit pas à exprimer.
La deuxième réponse qu’il faut faire c’est qu’en effet la France est particulièrement délirante dans son analyse du monde arabe. La question de ce délire qui est présent à de nombreuses reprises et qui s’exacerbe évidemment au moment du conflit israélo-palestinien, mais qui est potentiellement présent depuis un certain temps, devrait nous intéresser. Pourquoi la France fait-elle une si mauvaise analyse du monde arabe ? Une analyse qui a par exemple conduit la plupart des intellectuels non juifs de ce pays a favoriser d’une manière indirecte la prise du pouvoir par le FIS à Alger. On entendait dire que les islamistes sont inévitablement amenés à prendre le pouvoir en Algérie (...). Ce sont ces mêmes intellectuels qui n’ont eu aucune sympathie pour Anouar el Sadate en Égypte. Ils ont souhaité la défaite des Chrétiens au Liban. Bref, ils ont toujours eu une mauvaise grille de lecture. Alors pourquoi ? Je crains malheureusement qu’il existe en France - le phénomène José Bové nous le montre, c’est finalement un type qui dans d’autres circonstances aurait attaqué des magasins juifs, on attaque MacDonald mais c’est la même chose -, il y a en France un violent rejet de la mondialisation, qui est d’ailleurs particulièrement masochiste puisque la France est plutôt bénéficiaire de cette mondialisation.
Ce violent rejet de la mondialisation qui ne va pas jusqu’au bout s’exprime par un antiaméricanisme souvent apoplectique et dont, bien sûr à terme, les Juifs seront les boucs émissaires car les Juifs ont partie liée à l’américanisation de la société telle qu’on la voit, à la mondialisation, à la modernisation tout simplement et ils sont, sous leur forme moyen-orientale de l’État d’Israël, les grands alliés des États-Unis (...). Et à l’intérieur de ce Monde dans lequel nous sommes, ce ne sont pas les Chinois, ce ne sont pas les Japonais, ce sont de moins en moins les Latino américains qui expriment cet antiaméricanisme radical : ce sont les Arabes qui, un peu pour les mêmes raisons, ont une espèce de nostalgie romanesque et romantique d’un monde autoritaire. Et l’arabophilie française, dont l’aberration s’est particulièrement exprimée à l’occasion de l’Intifada des mosquées, a part liée à ce romantisme politique antidémocratique qui traverse les élites françaises (...)